Le quatrième dimanche de l’Avent 2011, les Dominicains, à travers le monde, célèbrent un anniversaire très important non seulement pour leur Ordre religieux, mais pour l’ensemble du monde, en particulier pour les peuples des Amériques. Nous soulignons le six-centième anniversaire du sermon d’Antonio Montesinos. De quoi s’agit-il?
À la découverte des Amériques par Christophe Colomb, les Européens se partagèrent le territoire du Nouveau Monde comme s’ils en étaient les propriétaires depuis toujours. Sans aucun respect pour les habitants de ces régions. Bien au contraire. Ils les traitèrent comme des animaux, sans accorder d’attention à leur personne, leurs coutumes et leurs cultures. Ils les réduisirent en esclavage, les contraignant à de durs travaux. Plusieurs indigènes tombèrent malades, un grand nombre mourut. On violait les femmes. On battait les enfants. Un véritable carnage.
Sur l’Île d’Hispaniola, la République de Saint-Domingue et Haïti d’aujourd’hui, une communauté de jeunes Dominicains réagit. Ils tentèrent de convaincre les dirigeants espagnols de cesser les massacres. Ils affirmaient avec vigueur que les conquérants se trouvaient au milieu d’un peuple de grande sagesse, devant une civilisation honorable. Peine perdue. Les Espagnols continuèrent de traiter les indigènes comme du vulgaire bétail.
Après avoir prié et jeûné longuement, les Dominicains demandèrent à l’un d’entre eux, le frère Antonio Montesinos, leur meilleur prédicateur, de prendre la parole au cours de la messe du quatrième dimanche de l’Avent, quelques jours avant Noël 1511. Les frères rédigèrent ensemble l’homélie et la signèrent. Voici un extrait de cette homélie qui eut et a encore après six cents ans un grand retentissement.
« Je suis la voix du Christ qui crie dans le désert de cette île. Par conséquent, vous feriez bien d’écouter de tout votre cœur, car cette voix sera la plus novatrice, la plus pointue, la plus dure, la plus choquante et la plus dangereuse que vous n’ayez jamais entendue.
« Vous vivez tous et vous mourrez en état de péché mortel, par la tyrannie et la cruauté que vous manifestez envers ces peuples innocents. De quel droit et par quelle justice, gardez-vous ces Indiens dans un tel esclavage ? Par quelle autorité vous permettez-vous de mener cette horrible guerre contre les peuples de cette île, peuples si doux et si pacifiques ? Comment pouvez vous garder ces peuples dans l’oppression et l’épuisement ? Vous les tuez pour pouvoir acquérir chaque jour votre or si précieux !
« Ne sont-ils pas des êtres humains? Ne sont-ils pas des hommes? Les femmes ne sont-elles pas des êtres humains ? Les enfants ne sont-ils pas des êtres humains ? Ne sommes-nous pas obligés de les aimer comme nous-mêmes ?
« Ne comprenez-vous pas cela ? Ne sentez-vous pas cela ? Comment pouvez-vous rester dans un sommeil léthargique et si profond ?»
Le sermon de Montesinos eut un grand retentissement sur l’auditoire. Un véritable choc au point où l’amiral et le colonel, à la tête de la colonie, exigèrent une rétractation de la part du prédicateur. Le prieur répondit:
« Avec respect, je dois vous dire que nous avons tous prêché ce sermon. Notre communauté tout entière a prêché ce sermon. Oui, nous savons que vous avez des obligations envers le Roi et le peuple. Nous avons, nous aussi, une obligation: prêcher l’Évangile de Jésus Christ. Et l’Évangile nous dit: vous devez remettre cette terre à son peuple et libérer ce peuple de l’esclavage. Quand il y a de l’injustice, que les droits sont bafoués, nous, comme Dominicains, nous devons prêcher la Parole de Dieu. C’est précisément pour cela que nous sommes venus ici. Vous voulez que nous prêchions la semaine prochaine? Aucun problème, Señor Almirante. Oui, nous prêcherons à nouveau, et à nouveau, et à nouveau…»
Dans quelques jours, nous ferons mémoire de la naissance du Fils de Dieu. Une frêle adolescente l’a porté dans son sein. Il s’est présenté à l’humanité, fragile comme un enfant, sans pouvoir comme un pauvre, à la merci des puissants et des grands de ce monde. Une trentaine d’années après sa naissance, des puissants eurent sa peau.
C’est lui que les Dominicains de Saint-Domingue ont reconnu dans le peuple des amérindiens. Six cents ans plus tard, c’est encore lui que nous devons reconnaître dans les hommes et les femmes que nous côtoyons, ceux qui viennent à nous de coutumes et de cultures différentes des nôtres comme ceux qui sont nos compatriotes.
Que le sermon d’Antonio Montesinos et de ses frères Dominicains continue de nous le rappeler six cents ans plus tard. Que la résurrection du Christ après sa mort injuste soutienne notre combat pour plus de justice et de paix dans le monde.