Tout un défi attend qui voudrait présenter en quelques lignes ce plus récent essai de théologie littéraire: plus de cinq cents pages l’attendent. Mais quand le mot est lancé, un défi devient une occasion de dépassement et une invitation à le relever.
Que trouve-t- on dans ce livre?
D’abord l’expertise de quelqu’un qui a déjà publié quatre gros tomes de théologie littéraire chez Beauchesne de 1985 à 1998. L’intention est toujours la même. Non pas faire tâche apologétique à partir d’œuvres littéraires, mais fréquenter la littérature pour y discerner ce que la réflexion théologique peut en tirer pour son profit.
Où trouver ces ouvrages littéraires porteurs d’un sens pour la théologie?
Pour me limiter au présent ouvrage, je dirai que la littérature française du 19e et du 20e siècle occupent une place privilégiée. Les romans, les essais, les carnets et la poésie qui ont traité de sujets religieux ou qui ouvrent sur l’infini ne manquent pas. Mais l’auteur est loin de s’y enfermer. Il retourne chez des auteurs déjà fréquentés, comme Kierkegaard, et d’autres empruntés à la littérature italienne ou américaine.
Devant un tel chantier, y a-t-il une méthode constante dans la lecture?
Si l’auteur est fidèle dans sa façon de lire les ouvrages avec beaucoup de respect pour leur originalité, on ne peut pas dire qu’il s’enferme dans une seule méthode. Tantôt il part d’une question posée de manière personnelle à propos d’un auteur. Par exemple, le jeune Bremond et la littérature. Tantôt il reprend des commentaires déjà proposés sur des auteurs connus comme Baudelaire, Bernanos ou Mauriac et offre soit des prolongements, des remises en question ou des explications personnelles plus ou moins divergentes. À d’autres moments, il propose un essai magistral comme celui intitulé «du langage mystique au langage poétique» (que le professeur de la vie spirituelle que je suis aurait bien aimé avoir écrit).
Quelles compétences sont exigées de l’auteur?
On en devine certaines dans ce qui précède, mais la première de toute est certainement un amour profond de la littérature et du travail d’écriture. Pour produire des milliers de pages de littérature théologique, il faut avoir lu encore plus de milliers de pages de littérature et il est indispensable que toute l’entreprise soit soutenue par une passion indéfectible et une mémoire plus que fidèle. Enfin, et je suis certain de ne pas avoir fait le tour des qualités requises, la théologie littéraire n’est pas du tout desservie par le fait d’avoir déjà étudié et pratiqué une théologie plus académique. Cette dernière qualité permet en effet d’éviter des pièges que la belle écriture peut cacher tout en respectant le travail littéraire original.
Est-il nécessaire d’être doté de toutes ces qualités pour apprécier ce livre?
Il est d’autant plus important de soulever cette question que tout ce qui précède pourrait donner l’impression à certains que la théologie littéraire n’est pas pour eux. De là à penser qu’il s’agit d’un domaine réservé à une élite, où quelques rares personnes ont pu conjuguer leurs talents personnels, leur éducation et leur vie, et parvenir ainsi au sommet de la littérature, il n’y a qu’un pas. Qu’il ne faut pas franchir.
Permettez-moi ici un témoignage personnel.
J’ai lu au moins quatre des cinq livres de théologie littéraire de Jean-Pierre Jossua. Et à l’occasion de chaque lecture de ses ouvrages, j’ai appris énormément, presque comme si j’étais un illettré. J’ai appris non seulement des choses que je n’avais pas discernées lors de ma lecture de Bernanos ou Mauriac, pour ne citer que ces deux auteurs bien connus, mais j’ai aussi découvert des auteurs dont je n’avais jamais entendus parler ou que je n’avais jamais fréquentés.
Quel profit tirer de la théologie littéraire, si on est plus théologien que littéraire?
La théologie, comme aiment à le répéter des théologiens qu’on ne soupçonnerait pas d’avoir des goûts particuliers pour la littérature, ne s’achève pas dans une seule démarche de compréhension intellectuelle. Elle doit aussi accompagner et soutenir la vie de foi et l’expérience spirituelle. Pour ce faire, il ne lui est pas inutile de s’éloigner parfois des concepts abstraits et de s’essayer à des applications concrètes dans la vie quotidienne. La littérature et donc la théologie littéraire peuvent offrir des ponts pour passer de la théologie à la vie. Mais ce n’est pas tout et ce n’est peut-être pas surtout ce qu’elles peuvent faire. La littérature et la théologie littéraire peuvent faire découvrir des côtés de la vie de foi et de l’expérience spirituelle qui échappent, de siècle en siècle, aux théologiens même les mieux intentionnés.
Un livre pour tout le monde, donc?
Presque. Presque pour tous ceux et celles qui ne parviennent pas toujours à terminer les volumes de théologie, dont le sujet les intéresse, mais dont la langue leur échappe. Certainement pas pour ceux qui demandent à la théologie de leur offrir des recettes de vie toute faites, précises et faciles à suivre: ils seront frustrés et réserveront sans doute un mauvais sort à cet ouvrage ciselé comme un bijou. Peut-être pour les personnes qui n’ont aucun intérêt pour la théologie et ses sujets habituels, mais qui s’interrogent sur la vie et qui ont gardé un brin de curiosité. Plus certainement pour ceux et celles que la langue bien écrite captive, car Jossua ne parle pas que de la littérature des autres: il fait lui-même œuvre littéraire dans cette démarche. Parce qu’il sait écouter avec attention et comprendre avec précision le propos des auteurs qu’il lit, Jean-Pierre Jossua parvient à entrer en dialogue avec eux.
J’arrête ici, sans plus de questions. Vous ne savez sans doute pas tout ce qu’il y a dans ce livre; des auteurs et des thèmes n’ont même pas été mentionnés. Mais j’espère que vous savez un peu mieux ce qui vous attend, si vous accédez dans son monde. Ne craignez rien; tout lecteur peut oser le parcourir. Chacun, chacune y trouvera son profit, à la mesure de sa capacité de lire.