Ils disent mais ne font pas !
Jésus déclarait à la foule et à ses disciples :
« Les scribes et les pharisiens enseignent dans la chaire de Moïse.
Pratiquez donc et observez tout ce qu’ils peuvent vous dire. Mais n’agissez pas d’après leurs actes, car ils disent et ne font pas.
Ils lient de pesants fardeaux et en chargent les épaules des gens ; mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt.
Ils agissent toujours pour être remarqués des hommes : ils portent sur eux des phylactères très larges et des franges très longues ;
ils aiment les places d’honneur dans les repas, les premiers rangs dans les synagogues,
les salutations sur les places publiques, ils aiment recevoir des gens le titre de Rabbi.
Pour vous, ne vous faites pas donner le titre de Rabbi, car vous n’avez qu’un seul enseignant, et vous êtes tous frères.
Ne donnez à personne sur terre le nom de père, car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux.
Ne vous faites pas non plus appeler maîtres, car vous n’avez qu’un seul maître, le Christ.
Le plus grand parmi vous sera votre serviteur.
Qui s’élèvera sera abaissé, qui s’abaissera sera élevé.
COMMENTAIRE
Jésus semble s’en prendre violemment dans l’évangile à la conduite hypocrite des dignitaires pharisiens. Pourquoi de tels reproches dans la bouche de Jésus, alors qu’il semble proche des Pharisiens en bien des points de son enseignement ?
Matthieu a probablement durci le discours originel de Jésus. A l’époque où il écrit son évangile, de sérieux problèmes enveniment les relations entre les premières communautés chrétiennes et les vieilles communautés juives, les unes excluant les autres. Dans l’évangile d’aujourd’hui, les Pharisiens qui sont visés ressemblent plus aux dignitaires du judaïsme de l’époque de Matthieu qu’aux Pharisiens du temps de Jésus.
Toutefois, si Matthieu a durci probablement le discours originel de Jésus, il nous livre un enseignement fondamental. Le résumé de tout le passage se trouve probablement dans ces mots : « Ils disent mais ne font pas ». Jésus pointe un certain divorce entre ce que le croyant peut dire et ce qu’il fait vraiment. Il souligne que l’homme le plus religieux de son temps – le Pharisien – n’arrive pas à mettre en œuvre ce qu’il enseigne.
L’homme, même le plus religieux, risque de vivre dans une attitude fausse en face de lui-même et en face de Dieu : il dit et ne fait pas. C’est bien là une insistance qui revient souvent dans les paroles de Jésus, spécialement dans saint Matthieu. Parler, même bien parler, ne suffit pas. Pour Jésus, l’essentiel, c’est de faire, de mettre en pratique, d’accomplir… Ne dit-il pas ailleurs : « Heureux celui qui écoute la parole et la met en pratique » ? Ou encore « Il ne suffit pas de dire Seigneur, Seigneur pour entrer dans le Royaume des cieux ; il faut faire la volonté de mon Père…» ?
Il ne suffit donc pas d’écouter et de parler. S’il est nécessaire d’écouter la Parole, c’est pour la mettre en pratique dans sa vie. Dans la suite de Jésus, le disciple s’engage à pratiquer la Parole. Le « pratiquant » n’est pas d’abord celui qui va à la messe, mais celui qui permet à la Parole de Dieu de prendre chair dans toutes les dimensions de son existence. A la suite de Jésus, le croyant s’offre à la Parole divine pour la laisser agir en lui. Le chrétien est un jardin ensemencé par la semence de la Parole.
L’attitude des Pharisiens est une sorte de caricature de la nôtre. Il y a beaucoup de résistances et de refus au travail secret de la Parole de Dieu en nous. Mais cette Parole a aussi la puissance de mettre au jour nos failles et nos contradictions, nos lâchetés et nos faiblesses bien humaines. On est disciple du Christ par la vie toute entière : dans nos relations, nos choix, nos actes, nos sentiments, nos pensées. Si nous nous laissons transformer par la Présence de Dieu, par son dynamisme de vie et sa force d’aimer et de pardonner, qui fait vivre, nous saurons que c’est vraiment ce Dieu qui nous sauve et nous fait vivre.
Pécheurs, nous découvrirons sa puissance de pardon agissante en nous ; éprouvés, peut-être désespérés, nous découvrirons sa puissance de résurrection. Nous pourrons crier comme Paul : « qui pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus ? Rien ! » Le chrétien n’est pas d’abord quelqu’un qui confesse sa foi en récitant le Credo. Il est chrétien parce qu’il est devenu disciple du Christ au plus profond de lui-même, dans son espérance, dans sa manière de vivre, dans ses relations. Il expérimente en lui-même et dans la foi que le Christ est son sauveur, que c’est le Christ qui vit en lui.
En vivant chaque instant de notre vie avec le Christ, nous apprenons à renoncer à nous-mêmes et à penser d’abord aux autres. Sur cette route difficile, chacun de nous, s’il est vraiment chrétien, n’a pas d’autre enseignant, pas d’autre maître, que le Christ. Le plus grand parmi vous sera votre serviteur, dit Jésus dans l’évangile. Quel est donc ce plus grand sinon le Christ. Lui, « l’égal de Dieu », a pris la condition de serviteur, comme le dit l’hymne de l’épître aux Philippiens.
La différence entre le Christ et nous, c’est que le Christ a parlé et qu’il a mis en pratique ce qu’il a dit, qu’en lui la Parole s’est faite chair. Lui qui était le plus grand, il s’est fait serviteur de tous : c’est en cela même qu’il est notre maître. Pour vivre en chrétiens, il est important de découvrir que nous sommes habités par Celui qui nous sauve et nous appelle à la vie. Ce qui est important c’est de nous laisser transformer de l’intérieur par Lui, afin de devenir des missionnaires de l’espérance, des messagers de salut, des porteurs de bonne nouvelle. Que nos paroles soient en accord avec nos vies. Qu’à la suite de Jésus, nous fassions ce que nous disons.
Frère François-Dominique CHARLES, o.p.