Novembre, c’est le mois des morts. Je veux rendre hommage à tous nos proches qui sont partis. Pour ce faire, je reprends l’homélie prononcée aux funérailles de mon oncle Germain, il y a quelques années. Puissiez-vous reconnaître tous vos Germain.
Si, un jour, j’avais dit à Germain: «À tes funérailles, je vais te comparer au vieillard Syméon dans l’évangile», il m’aurait traité de fou. Et même, il aurait encadré sa réponse avec des mots du vocabulaire de la sacristie!
Sur certains points, Germain et Syméon ne se ressemblent pas. Syméon passait sa vie au temple. Germain n’a jamais été un «rongeux de balustre». Syméon était avancé en âge; c’est un vieillard. Germain nous quitte en ayant à peine 66 ans. C’est partir bien jeune à une époque où les centenaires sont de plus en plus nombreux.
Mais l’essentiel n’est pas là. Syméon et Germain se ressemblent dans la prière du vieillard de l’évangile. «Maintenant, ô Maître, tu peux laisser ton serviteur s’en aller dans la paix, selon ta parole. Car mes yeux ont vu ton salut, que tu as préparé à la face de tous les peuples.»
Germain, qu’est-ce que tes yeux ont vu avant que tu nous quittes? Je m’imagine un peu ta réponse.
J’ai vu 66 ans de beaux jours et de jours plus tristes, du soleil et des nuages. J’ai partagé une grande partie de mes 66 ans avec Huguette dans une aventure unique qui a ébloui toute ma vie. Sous ma carapace d’homme de terre, j’ai laissé battre mon coeur pour Bernard, François, Renée, Hélène et Nathalie. J’ai suivi leur itinéraire comme si c’était le mien. J’ai ri leurs joies. J’ai pleuré leurs peines. J’ai eu mal de leurs souffrances. J’ai suivi leurs amours comme si les miennes se prolongeaient dans les leurs. J’ai ouvert les bras à Myriam et Virginie, à Guillaume, Stéphanie et Vincent, à Olivier et Laurie, à Samuel et Guillaume, à Marc-Antoine et Émilie. S’il m’est arrivé d’être grincheux, c’est souvent pour cacher la tendresse que je n’osais pas trop exprimer, par pudeur. On a pu me reprocher d’être trop attaché à mes affaires, mais c’est souvent parce que j’étais attaché à mon monde. Mes affaires me parlaient de mon monde.
J’avais la tête dure. Je m’entêtais dans mes idées. C’est vrai que j’aurais pu avoir plus de souplesse. Mais parfois, ce n’est pas mauvais de tenir à quelque chose, d’avoir du caractère. Mes enfants auraient aimé me voir plus souvent, que j’aille les visiter. C’est vrai que je n’étais pas «sorteux». Mais la distance ne m’empêchait pas de les aimer.
J’ai vu un village avec ses grands et ses petits bonheurs, avec ses souffrances et ses guérisons. Un village que je n’ai pas quitté et que j’ai servi du mieux que je pouvais. J’ai été pompier. J’ai fait partie de l’Ambulance Saint-Jean, de la protection civile, des Chevaliers de Colomb. J’ai été employé de la ville. Dans tout cela, le goût de l’aventure, mais aussi et surtout le désir de faire ma part dans la communauté, d’exprimer ma solidarité et mon attachement à ce patelin.
Voilà ce que Germain pourrait nous dire aujourd’hui en faisant le bilan de son existence. En y mettant beaucoup d’humour. C’est quand il ne se prenait pas au sérieux qu’il fallait le prendre au sérieux. Dans son humour, il passait la sagesse de son expérience de vie.
Aujourd’hui, Germain, tu peux dire comme le vieux Syméon: «Maintenant, ô Maître, tu peux laisser ton serviteur s’en aller dans la paix selon ta parole. Car mes yeux ont vu ton salut…» Oui, Germain, tu as vu le salut de Dieu. Au fil des jours, d’une année à l’autre, Dieu t’a sauvé et t’a salué du même salut, de la même attention, du même amour. Et d’autres ont pu reconnaître dans ta générosité la générosité de Dieu qui crée la vie sans cesse et qui va te ressusciter. Nous avons pu, dans ton courage, reconnaître le courage du Christ qui jusque dans sa mort a donné sa vie pour les autres. Dans ton amour du travail, nous avons pu deviner le travail du créateur qui s’associe les hommes et les femmes dans la construction du monde. Dans ton attention à la souffrance des autres, nous avons vu s’exprimer la compassion de Dieu.
Pour tout ce que Dieu a réalisé à travers toi auprès des tiens et de toute la population de L’Islet, nous voulons le remercier et te remercier. Ceux et celles que tu laisses derrière toi veulent continuer leur route avec de bons souvenirs, en espérant qu’il leur reste quelque chose de ton humour, de ta générosité et de ta ténacité. Puisse Dieu permettre que nos chemins s’entrecroisent de nouveau dans la rencontre du Christ, le Seigneur des morts et des vivants. Dieu a ressuscité Jésus d’entre les morts. «Si nous sommes déjà en communion avec lui par une mort qui ressemble à la sienne, nous le serons encore par une résurrection qui ressemblera à la sienne.» Avec saint Paul, nous espérons donc que Dieu te réserve et nous réserve à nous aussi la même faveur qu’il a offerte à son Fils en le ressuscitant pour une vie nouvelle.