Le calendrier liturgique de cette semaine évoque la figure d’un homme exceptionnel, Albert le Grand. Exceptionnel en son temps, le treizième siècle. Exceptionnel dans l’ensemble de l’histoire de l’Église. Il vit dans l’ombre d’un autre être exceptionnel, Thomas d’Aquin, mais il mériterait que nos contemporains le connaissent mieux, dans le contexte culturel et social actuel.
Albert le Grand a rédigé des encyclopédies qui rassemblent ses observations en sciences naturelles. De nombreux livres qui sont dépassés de nos jours, évidemment. En ce domaine, l’actualité de saint Albert tient plutôt à son esprit scientifique qu’il a mis au service de sa foi. Une foi rigoureuse, entière, qui ne cède pas à l’imaginaire, tout cela à cause de son esprit scientifique.
François d’Assise regardait la nature comme un poème que Dieu écrit pour la joie des hommes et des femmes. Pour Albert le Grand, la création est un grand livre de questions sur les animaux, les plantes, les minéraux, sur l’être humain. En même temps, des questions sur Dieu. La nature était, pour lui, un lieu de recherche autant de Dieu que des humains. Albert rencontrait le mystère du créateur en croisant celui des créatures.
Il y a quelques années, Noël Copin a publié un livre intitulé: Je crois, donc je doute. La foi est avant tout une quête, une recherche. Il lui arrive de faire des affirmations. Le plus souvent, elle avance des questions. Et des questions qui demeureront toujours. On demandait, un jour, à un astrophysicien s’il croyait en l’existence de Dieu. Le savant répondit: « Une grande part de la réalité nous échappe et nous échappera toujours.»
Je crois, donc je doute. Je doute que la nature, si grande soit-elle, renferme toute la réalité. Je doute que la vie finisse son aventure au bout de 80 ou 100 ans. Je doute que la vérité se limite aux découvertes des sciences, si prodigieuses soient-elles. Je crois, et j’espère. Sur son lit de mort, Thérèse de l’Enfant Jésus confiait à ses proches: « J’espère que c’est vrai». Notre foi est avant tout une espérance car elle est tournée vers un avenir, et un avenir qui nous échappe.
Le témoignage d’Albert le Grand nous rejoint donc. Il nous entraîne dans une quête incessante de la vérité, une foi en forme de recherche, une foi qui questionne.
Albert le Grand ne s’est pas limité à l’étude des sciences naturelles. Il fait partie de la première cohorte de philosophes et de théologiens chrétiens qui ont fait appel aux travaux d’Aristote et d’Averroès. Comme il était attentif aux phénomènes de la nature, il était tout autant à l’écoute des autres cultures et des autres religions. Dans ce dialogue, Albert enrichissait sa théologie. Il était persuadé que la recherche des autres pouvait éclairer sa propre recherche. La quête spirituelle d’autres traditions nous révèle quelque chose du mystère de Dieu et de notre propre mystère.
Nous sommes attachés à notre culture et à notre patrimoine, mais les médias et les voyages nous font vivre à l’échelle planétaire et même interplanétaire. Le dialogue fait partie de notre présent et de notre avenir. Nous nous affirmerons d’autant plus que nous laisserons l’autre intervenir dans nos conversations. Ben Sirac, le sage disait : « Si tu aimes écouter, tu apprendras, si tu prêtes l’oreille, tu deviendras sage. (…) Veille à ne laisser échapper aucun sage proverbe. Si tu vois un homme intelligent, cours à lui dès le matin, que ton pied use les marches de sa porte.» (Ben Sirac 6, 33…36)
La planète où nous vivons est un trésor inestimable. Les menaces écologiques nous font soupçonner la précieuse richesse que risquons de perdre. Nous croisons chaque jour des hommes et des femmes dont les cultures entrent en dialogue avec la nôtre pour mutuellement nous enrichir. Comme les talents de la parabole, ce monde merveilleux nous est offert par Dieu. Nous avons l’immense privilège et l’honneur de recevoir l’oeuvre de Dieu et de participer à sa croissance.
Au Moyen Âge, Albert le Grand a été le serviteur bon et fidèle qui a permis à la science et à la théologie de porter beaucoup de fruits. Son témoignage nous inspire encore malgré les siècles qui nous séparent de lui. Qu’il nous rappelle que les sciences, comme le dialogue des cultures, sont autant de lieux de rencontre de Dieu car, comme dit saint Paul, « la création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu» (Romains 8, 19).