Dans notre imaginaire collectif, la prière à deux constitue le véhicule par excellence de la spiritualité conjugale. Combien de personnes en cheminement spirituel rêveraient de pouvoir prier avec leur conjoint et souffrent du fait que celui-ci ou celle-ci ne partage pas leur désir.
J’ai rencontré plus d’une fois des couples croyants qui priaient ensemble mais ne vivaient pas de véritable spiritualité conjugale. Pour certains d’entre eux, la prière en commun manifestait une aspiration à la fusion de leurs individualités, y compris leur spiritualité. Tournés vers Dieu et épris d’idéal, ils évitaient en partie la rencontre en face à face qui caractérise le couple. Ils tentaient de sublimer leur relation sans accepter d’emprunter l’humble chemin de l’incarnation, c’est-à-dire qu’ils fuyaient ainsi les risques d’une interaction ouverte où se révèlent honnêtement les différences, les insatisfactions, les luttes de pouvoir. Ils pensaient sincèrement que la réussite humaine et spirituelle de leur couple était garantie par la fréquence et la longueur des temps de prière vécus ensemble.
Si les membres du couple regardent dans la même direction en négligeant de se regarder l’un l’autre, comment pourront-ils vivre une spiritualité proprement conjugale ? On ne peut vraiment parler de spiritualité conjugale que si les membres du couple demeurent conscients de leur face à face dans toutes ses dimensions, tout en se tournant ensemble vers Dieu. La spiritualité conjugale se développe dans l’espace des interactions entre les conjoints. En se rencontrant mutuellement dans la vérité de leur être, les conjoints se rendent disponible au travail de transformation intérieure qu’opère dans leurs cœurs l’Esprit Saint, l’Esprit du Christ. Ils reconnaissent dans leur amour, avec ses grandeurs et ses limites, la présence d’un amour qui les dépasse et qui leur est donné gratuitement.
À l’inverse, je connais d’autres couples qui vivent une spiritualité conjugale mais qui ne prient pas ensemble. Leur relation est pour eux un lieu privilégié d’ouverture au travail intérieur de l’Esprit et de croissance spirituelle, que l’on reconnaît à ses fruits. Il arrive souvent que l’un des conjoints se sente moins à l’aise de parler de sa foi ou de nommer Dieu dans sa vie explicitement, tout en vivant l’évangile de façon authentique. Chez d’autres, il y a des différences de rythme ou de sensibilité à l’égard de la prière, différences que les conjoints s’efforcent de respecter dans la conscience que prier ensemble n’est pas la seule expression pertinente de leur spiritualité.
Si vous prenez le temps de prier à deux, je vous souhaite de tout cœur d’en retirer le développement d’une spiritualité conjugale incarnée qui vous fasse vraiment grandir ensemble dans la foi, l’espérance et l’amour. Si vous faites partie des couples qui ne prient pas à deux, je vous souhaite de découvrir les moments de vos vies où vos cœurs se tournent ensemble vers l’indicible: peut-être priez-vous à deux autrement, sous une forme inédite?