Si on permet au chroniqueur un ton plus personnel : j’avais en préparation une critique du film-événement The Tree of Life de Terrence Malick, acclamé au festival de Cannes. Mais voilà, alors que je suis un admirateur des œuvres que le réalisateur américain livre avec parcimonie (cinq en quarante ans), j’ai été en quelque sorte anéanti par l’ambition de ce film qui se présente comme une sorte de dialogue dramatique avec Dieu. Son long avant-propos qui évoque la création du monde m’a paru boursouflé et profondément ennuyeux. Saisi cependant par les éloges de la critique, il me faudra le revoir et peut-être honnêtement y revenir.
Et puis, il m’a été donné de voir deux films, qui ne se prennent pas pour des chefs- d’œuvre, et qui, à mon sens, dans leur modestie, leur savoir-faire, en sont, au sens que l’on donnait à ce terme dans le vocabulaire des maîtres et compagnons. De la belle ouvrage, des moyens classiques, intelligemment mis au service d’une histoire racontée d’une manière qui touche, avant de nous laisser repartir tranquillement vers nos occupations, un peu différents tout de même. Juste du cinéma, peut-être, mais qui, comme tout art vrai, donne de l’espoir.
UN AMOUR DE JEUNESSE, de Mia Hansen-Løve
Un amour de jeunesse a été réalisé par Mia Hansen-Løve qui avait su évoquer avec tact la vie créatrice et la mort tragique du producteur Humbert Balsan, dans Le père de mes enfants. Un garçon et une fille, Sullivan et Camille, très jeunes (16-17 ans au début du film), dont les mœurs sexuelles nous montrent, dès les premières images, qu’ils sont bien de notre temps, s’aiment d’un amour passionné, radical, définitif, éternel. La force de l’œuvre est de nous faire prendre conscience qu’ils ne se trompent pas, malgré les apparents démentis de leurs choix, de leurs absences, de leurs évolutions et de leurs trahisons.
Le film joue avec délicatesse sur les réflexes et les attitudes des deux sexes. C’est le garçon qui, le premier, par instinct, perçoit ce que cet amour infini peut avoir d’étouffant et de narcissique à deux. Il n’en récuse nullement l’absolu, mais veut ouvrir sa vie à d’autres êtres, à d’autres lieux, en tout cas à son voyage en Amérique latine où il se rend, malgré le désespoir de Camille. Quand ensuite, au cœur de l’hiver parisien, les lettres tardent à venir, s’espacent puis cessent d’arriver, c’est pour la jeune fille un terrible sentiment d’abandon qui l’amène à une tentative de suicide, discrètement traitée.
Mais alors, en un bel exemple de résilience féminine, Camille va lentement, selon ses propres mots, se reconstruire. Elle s’investit dans ses études, et, par une parabole cinématographique qui n’a rien de forcé, entreprend une carrière d’architecte, aidée par son professeur jouant dans sa vie sentimentale un rôle différent de celui qui a complètement disparu de sa vie.
Huit ans après, par hasard, comme dans le Conte d’hiver de Rohmer auquel le style du film fait penser, les jeunes gens se retrouvent. La réalisatrice n’a nullement vieilli ses acteurs, comme pour attester la permanence de leur sentiment profond. Le spectateur sent que l’ancrage de cet amour de jeunesse dans leur être est indéracinable. Est-ce cela que, presque subrepticement, veut dire cette notation sur un cahier : « Je regrette de n’avoir pas la foi, mais au moins j’ai une vocation » qui pourrait être un beau message à la jeunesse ?
Le thème du film est beau, porté par les outils les plus communs. Il y a le mouvement d’abord, puisque c’est la définition même du cinéma : Sullivan sur son vélo dans Paris ; la marche, la nage dans la nature à la fois austère et luxuriante de l’Ardèche, avec ses rivières aux cours incertains. Les dégradés d’ombre et de lumière qui jouent aussi sur les architectures empêchent que surgisse tout sentiment d’ennui. Il y a aussi les sons, la musique, très variée, et le ton de voix particulier des deux jeunes acteurs, surtout Sullivan utilisé souvent en off, qui est, bien sûr, affirmation de soi sans pouvoir cacher l’incertitude qui appartient à leur âge et à l’humaine condition. Le cinéma joue ici parfaitement son rôle de révélateur.
LE GAMIN AU VELO, de Luc et Jean-Pierre Dardenne
Dans Le gamin au vélo, des frères Dardenne, qui ont déjà donné des œuvres dures mais profondes, il y a le même sentiment d’urgence que dans la description d’une passion amoureuse. Ici, dans une ville de Belgique, entre une cité, un orphelinat et un bois plutôt dénudé, c’est Cyril, un gamin avec son vélo, instrument de sa liberté, qui lutte et se bat contre son sort d’enfant abandonné par ses parents.
Il faut le dire, le film est porté par un acteur enfant, Thomas Doret, chez qui il n’y a pas une ombre de ce cabotinage si exaspérant chez les comédiens de cet âge, et qui rend son personnage bouleversant. Après avoir entendu l’inaudible : son père, pour « refaire sa vie », ne veut plus s’encombrer de lui, Cyril se rattache avec une obstination désespérée à Samantha, une jeune femme dont nous ne saurons presque rien. Qu’elle le prenne chez elle, au moins le dimanche ! Sans explications, sans pathos, elle acceptera qu’il vive avec elle, lui sacrifiant une liaison en cours.
Rien de plus, mais la mise en scène dépouillée, avec la seule irruption, saisissante, pour relier les séquences, de quelques mesures du Concerto l’Empereur de Beethoven, nous conduit à l’émergence de ce qu’il faut bien appeler la charité, un amour de compassion, désintéressé. Juste un film, mais qui montre comment le cinéma sait parfois dire l’essentiel.
Guy-Th. Bedouelle o.p. Angers (F)
Recteur de l’Université catholique de l’Ouest