Il y a encore des gens de ma génération qui ont entendu parler de Marcel Légaut même s’ils ne sont pas des théologiens ou des spécialistes de la vie spirituelle; mais ils sont de plus en plus rares. Je m’imagine par ailleurs que pour beaucoup de jeunes Québécois, le nom Légaut sonnera d’abord comme une faute d’orthographe en ce pays des Legault!
Il ne reste probablement plus grand monde qui se souvient des deux émissions du Chêne de Mambré du réalisateur Roland Leclerc consacrées à Marcel Légaut à la fin des années 1970. Et pourtant l’expérience du professeur devenu berger peut encore parler à qui a la chance de le découvrir et prend la peine de le lire. C’est le service qu’a voulu rendre Thérèse de Scott avec sa petite vie de Marcel Légaut.
Une source riche et fiable
La biographie d’une centaine de pages d’une personne ayant vécu 90 ans passe nécessairement quelques détails sous silence. Les années ayant filé et plusieurs contemporains étant décédés, il est plus facile de tracer un portrait complet de l’histoire de Légaut et de nommer ses compagnons et compagnes de route, sans risquer de blesser quelqu’un. J’ai pu ainsi clarifier des périodes de sa vie dont les détails m’échappaient et mettre des noms sur des personnages demeurés jusque-là inconnus.
L’entre-deux-guerres, avec toutes ses retombées sur la vie de Légaut, est bien présenté et le lecteur comprend ainsi le sens des efforts pour renouer avec les camarades dans les années d’après guerre. La reprise de contact avec les anciens et le rayonnement connu à la suite des publications des années 1970 sont aussi très bien situés. Le plus important demeure toutefois l’habileté de Thérèse de Scott à nous faire entrer dans la pensée de Légaut.
Un monde à explorer
La richesse d’un petit livre tient souvent au nombre de points de suspension dont il s’accompagne et qui laissent tant de latitude au lecteur pour compléter et interpréter ce que le texte dit. Car, comme l’illustre si bien la préface de Bernard Feillet, Légaut permet bien souvent à qui le rencontre de se découvrir lui-même. Et pour chaque personne ainsi touchée par Légaut, il prend une signification différente puisqu’il est compris à partir de ce que cette personne comprend d’elle-même. Ainsi le Légaut de Feillet est différent de celui de Thérèse de Scott, mais aussi du mien et de celui de tout lecteur éventuel. Pour expliquer ce phénomène, Légaut avait l’habitude de dire que la compréhension juste de ses livres venait plus de l’écho éveillé chez le lecteur que de la signification grammaticale du texte. Dans mes mots, je dirais que Légaut invite son lecteur à devenir lui-même, selon le titre d’un de ses ouvrages majeurs, plus qu’il ne lui impose un message ou une doctrine. Cette nécessaire interprétation ne signifie toutefois pas qu’on peut faire dire n’importe quoi à Légaut. Sous jacente aux appels qu’il lance, il y a chez Légaut une conviction profonde bien mise en valeur dans le présent ouvrage.
Un sens à construire
Légaut témoigne en effet de la signification pour lui de la relation qu’il a établie avec Jésus. Son expérience spirituelle et sa relation à Dieu dépendent complètement de ce qu’il a découvert de Jésus à mesure que lui, Légaut, devenait plus authentiquement lui-même. Son petit livre de prières, Prières d’homme, plusieurs fois évoqué dans le livre de Thérèse de Scott, reprend souvent et de multiples façons cette dynamique d’échange entre la personne en quête spirituelle et Jésus. Cela ne signifie pas que chaque croyant se construit une idole de Jésus, mais que le vrai visage de Jésus apparaît dans la compréhension en profondeur de soi. L’homme Jésus se laisse saisir au cœur de l’humanité de qui le cherche.
Mon amie Thérèse me pardonnera de m’être tellement donné la parole à partir de son livre, mais elle s’est si bien approprié les réflexions de Légaut que, quand elle parle de lui, elle invite inévitablement à dire une autre parole. À ceux et celles qui se cherchent un chemin de spiritualité pour aujourd’hui, je recommande fortement la petite vie de Marcel Légaut. Elle s’avèrera une excellente porte d’entrée dans un monde spirituellement fécond.
je découvre au hasard d’une flânerie sur le web cet article, qui me renvoie aux merveilleuses années passées au contact de Marcel Légaut. Je lui dois d’avoir continué depuis à tenter d’approfondir ma foi catholique.