Bernard Cantat, de l’ancien groupe Noir Désir, est sur la sellette depuis quelques jours. On se souvient qu’il a fait la une des journaux, il y a quelques années, pour le meurtre horrible de sa compagne, Marie Trintignant. Il revient sur la scène, cette fois-ci, pour sa possible participation à une pièce de théâtre au Théâtre du Nouveau Monde à Montréal et à un autre spectacle à Avignon en France.
Je n’analyserai pas et ne jugerai pas l’affaire ni au plan artistique ni au plan éthique. Il me manque des données pour me faire une opinion juste. La controverse suscite de nombreux commentaires qui vont dans tous les sens. Tout ce brouhaha m’amène à réfléchir sur le sens du pardon.
On pense souvent que le pardon se résume à fermer les yeux sur une bévue dont on est soi-même la victime. Plusieurs pensent que le pardon est plus généreux quand on pardonne sans discussion, sans argumentation, sans se mettre sur la défensive. Beaucoup aussi croient qu’il faut oublier pour que le pardon soit complet.
Pour qu’un pardon accomplisse sa tâche de guérison, il me semble absolument nécessaire de faire face à la réalité dans toute sa crudité. Le geste malheureux, ses conséquences, les blessures, les souffrances, tout. Dans Le monde de l’éducation (septembre 2000), le philosophe Jacques Derrida affirme avec fermeté : «Un pardon qui conduit à l’oubli, ou même au deuil, ce n’est pas, au sens strict, un pardon. Celui-ci exige la mémoire absolue, intacte, active – et du mal et du coupable.»
La victime et le bourreau doivent analyser ensemble ce qui est arrivé. L’un et l’autre doivent apprivoiser les tenants et aboutissants de l’affaire. Parfois, il faudra demander de l’aide à l’extérieur. Il faut surtout ne pas recourir trop vite à la réconciliation. Il faut avoir la patience et d’attendre l’autre et de s’attendre soi-même. Il y a des gaffes qui mettent du temps, beaucoup de temps, à être perçues, reconnues, acceptées. Et ce n’est pas manquer de générosité que de prendre son temps.
Souvent, la situation est intenable. Elle génère non seulement la souffrance morale, physique même, mais elle engendre aussi et surtout beaucoup d’émotivité. Celle-ci a besoin de beaucoup de temps pour parvenir à un certain équilibre, pour offrir aux parties en présence un minimum de sérénité.
Il existe des situations qui demandent beaucoup de courage, une bonne dose de lucidité, la force de prendre un certain recul, une distance pour mieux embrasser la scène. Le même Derrida dit : «Ce qui est pardonnable est d’avance pardonné. D’où l’aporie : on n’a jamais à pardonner que l’impardonnable.»
Finalement, il faut consentir à ne jamais régler complètement le différend. Il faudra poursuivre la route vers la réconciliation. Il faudra aussi accepter que l’injustice ne soit jamais totalement payée. La blessure d’une victime comme le geste de l’agresseur ne se réparent pas comme on change le pneu d’une automobile.