Pour toutes sortes de raison, je n’ai pas lu le premier tome, mais j’ai entendu des commentaires à son sujet, qui allaient de l’enthousiasme absolu à la déception mitigée. Dans le cas du deuxième, je serais porté à croire que l’appréciation sera du même ordre, mais en inversant les épithètes.
Impossible de dire le contenu en quelques lignes de cet ouvrage qui couvre les années inscrites entre la fin du concile Vatican II et la «condamnation» de 1979. Contentons-nous d’évoquer des lignes majeures. D’abord une attention constante à certaines relations personnelles avec Ratzinger, Rahner, Döpfner, Lehmann et quelques autres. L’évocation de nombreux voyages internationaux qui sont sans doute parmi les meilleurs moments de ces mémoires. Et surtout le dossier, minutieusement repris des difficultés avec le Vatican, au sujet du célibat des prêtres bien sûr, mais essentiellement autour des ouvrages de l’auteur: Infaillible, Être chrétien, et Dieu existe-t-il?
Livres et portraits
Au sujet des personnes, l’intention de Küng ne vise évidemment pas à faire des portraits complets et détaillés; mais on aurait pu s’attendre à un peu plus de nuances, et à une appréciation qui ne tient pas uniquement à l’amitié manifestée à son égard ou aux liens entretenus avec le Vatican. Le cas de Rahner est typique à cet égard. Son apport à la théologie est réduit à presque rien, apparemment parce qu’il n’a pas suivi Küng dans le dossier du célibat des prêtres.
On pourrait faire des remarques identiques au sujet des livres. Encore à titre d’exemple, le lecteur pourra s’étonner de voir Küng parler de la même façon de l’infaillibilité évoquée dans le cas de l’Assomption et dans celui de l’encyclique Humanae vitae. Sans rien enlever à l’obligation dont s’accompagnait l’encyclique, je n’ai pas mémoire qu’elle se soit accompagnée d’une déclaration officielle d’infaillibilité. Au contraire, les nombreuses déclarations des épiscopats nationaux et les appels au jugement de la conscience personnelle semblent difficilement compatibles avec une décision qui se serait voulue infaillible!
Mémoires ou pas
Küng est une personne charmante avec qui le moindre contact laisse un souvenir des plus agréables. C’est aussi un auteur qui manifeste un authentique souci de ses lecteurs; il se veut accessible et précis. Est-il parvenu à maîtriser le genre littéraire des mémoires?
Je crois que les sections qui rejoignent le mieux les «mémoires» sont celles consacrées aux voyages internationaux. Dans sa présentation des pays et des personnes rencontrées, Küng fait la part aux souvenirs minutieux et aux rappels inspirés par le passage du temps.
Mais dans le dossier des livres, il échappe complètement à ce genre littéraire, comme il l’avoue lui-même aux pages 8 et 9 de sa présentation. Dans son souci de monter un dossier convaincant, pour ne pas dire une plaidoirie impeccable, il reprend toutes les pièces justificatives utiles à la défense de ses options. Cela, sans presque jamais revenir sur son évaluation historique de la situation. Ce que Küng défendait alors est encore, à la virgule près, ce qu’il croit aujourd’hui.
Plus théologien qu’historien
Il aurait encore fallu parler de la traduction, parfois un peu bâclée, faite par un traducteur qui nous habitués à du meilleur travail. On pourrait aussi ajouter que Küng s’avère un meilleur écrivain quand il est théologien que quand il s’essaie à l’histoire. En somme, les admirateurs indéfectibles seront ravis par ce long ouvrage; les lecteurs plus critiques, surtout s’ils ont été témoins des événements évoqués, se seraient sans doute contentés d’un livre plus modeste. Pour ma part, je ne m’engage pas à lire l’éventuel troisième tome dont Küng nous menace dans ses propos de la fin.