Le 22 novembre, la une du journal déploie une grande photo pleine d’émotion. Trois garçons émergent du toit ouvrant d’une auto. Ils viennent d’apprendre le cessez-le-feu entre la bande de Gaza et Israël. Ils ont le signe de la victoire au bout des doigts. Au visage, la lueur d’un sourire, juste une lueur. Ils n’ont sans doute jamais appris à rire, pas même à sourire. Leur dizaine d’années de vie n’a jamais connu la paix. Tout est à apprendre du côté du bonheur. Peut-on s’adapter rapidement au paradis quand on est né en enfer?
Au volant de l’auto, un homme conscient de ce qui se passe vraiment. Sa lueur à lui : l’espoir. La maudite guerre serait-elle terminée? Pourrons-nous enfin goûter des jours tranquilles? Nos enfants vont-ils connaître enfin la paix?
Le journal titre : «Trêve fragile entre Israël et le Hamas». Le mot qui retient les chants de victoire est lâché. Elle est fragile, cette trêve. «L’entente demeure fragile, dit le journal, chaque camp ayant déjà menacé de reprendre les hostilités, si le cessez-le-feu n’était pas respecté par l’autre.» Il faudra bâtir à même cette fragilité. On devrait confier les négociations à des funambules, des gens qui sont habitués à marcher au-dessus du vide, des gens qui n’ont qu’un fil pour tout moyen de déplacement.
Il y en aura des déplacements à faire, beaucoup de déplacements. Et la plupart du temps sur un fil au-dessus du vide. Les négociateurs apprendront au fur et à mesure les règles qui permettent des négociations fructueuses. Après des années sur la corde raide, le temps est venu de faire place à la souplesse. Y parviendra-t-on sans que pour autant on ait l’impression de se faire avoir, de concéder sur de l’essentiel?
La paix, celle qui existera entre le Hamas et Israël comme toutes les autres, suppose l’acceptation de l’autre, l’ennemi, l’adversaire. Le plus possible, en arriver à une acceptation inconditionnelle. Cela demande à chacune des parties d’en arriver à accepter les différences, différences de mentalité, différences de personnalité, différences d’option fondamentale, différences de culture, différences de religion. La paix peut-elle être possible sans que chaque individu soit considéré dans son unicité, considéré et respecté? Donc, il faudra négocier pour l’unité dans la diversité.
La paix ne sera possible et durable qu’à la condition de lutter contre la violence. Le recours à la vengeance n’a d’autre effet que l’escalade de la violence. À une force, on répond par une force plus grande et ainsi de suite. Et alors, on passe d’une blessure à une plus grande blessure. Il faudra combattre la brutalité qui sommeille en soi, combattre la haine de l’autre, combattre le désir de se faire justice soi-même, combattre toute intervention qui déshumanise. La vraie justice ne fait pas payer, elle guérit. Elle compte sur le bien et le vrai qui dort dans l’autre. Elle compte sur la part d’humanité de l’autre et sa capacité de faire des pas vers la réconciliation. En un mot, la paix n’est possible que dans une démarche de pardon, si longue et ardue soit-elle. Un pardon qui reconnaît les faits et les nomme lucidement. Un pardon qui reconnaît les blessures et en évalue la portée. Un pardon qui départage les responsabilités avec courage et humilité.
À Jérusalem, à Tel-Aviv comme dans la bande de Gaza, on hisse le drapeau blanc. On essaie de nouveau de vivre côte à côte. Que les ennemis deviennent des frères! À des milliers de kilomètres du conflit, j’ai confiance. Ma confiance tient peut-être de ma naïveté. Elle tient surtout de ma conviction profonde que l’être humain est capable de grandes choses, y compris de construire la paix. Dans l’être humain, il existe des ressources insoupçonnées.
«À cause de mes frères et de mes proches,
Je dirai : ‘’Paix sur toi!’’
À cause de la maison du Seigneur notre Dieu,
Je désire ton bien.» (Psaume 121)