Ces jours-ci, l’Église catholique célèbre la fête du Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Christ. Le titre est grandiose, mais la tradition a un autre nom, plus simple, pour désigner cette célébration: on dit la « Fête-Dieu».
Les anciens se souviennent sans doute de la grande procession de ce jour-là. Symboliquement, le Christ marquait son territoire en traversant le village ou la paroisse. Une fête presque politique où les croyants et les croyantes occupaient la place publique. Le Québec catholique de ce temps-là n’avait pas besoin pourtant de marquer l’espace. Il l’occupait! Dans beaucoup d’endroits, il l’occupait totalement. Mais on y allait d’une procession pour la fête. La foi prenait une odeur de printemps. Dans l’ostensoir porté pieusement par monsieur le curé, le « bon Dieu» nous aimait sur la rue principale et pas seulement à l’église ou au cimetière. Il nous aimait pendant que ses fidèles humaient les lilas en fleurs.
Les temps ont changé. La Fête-Dieu est devenue plus discrète. Elle s’est recentrée sur l’eucharistie et son sens dans la vie des chrétiens et des chrétiennes. Cette année, la liturgie nous invite à méditer le mystère à partir d’un récit de la multiplication des pains (Luc 9, 11-17).
Le pique-nique a commencé avec cinq pains et deux poissons. À la fin, il ne restait plus de poisson, on s’en doute bien. Mais il restait du pain, beaucoup de pain. D’après saint Luc: « Cela remplit douze paniers» (9, 17).
Dans la Bible, le chiffre « douze» a une signification particulière. Il fait penser au peuple de Dieu formé des douze tribus d’Israël. Dans le Nouveau Testament, les douze apôtres – qu’on appelle simplement : les Douze – annoncent le nouveau peuple de Dieu.
Voilà que le chiffre « douze» revient dans le récit de la multiplication des pains. Il désigne le nombre de paniers des morceaux qui restaient après que la foule eut mangé à sa faim.
Douze paniers bien pleins pour ceux et celles qui n’étaient pas là. Douze paniers pour nourrir les milliards de disciples qui s’ajouteront à travers les siècles aux douze premiers.
Douze paniers comme un clin d’oeil qui annonce l’étonnante fécondité de l’eucharistie: le don du Christ, don infini multiplié à l’infini, l’infini de l’infini!
Le don nous rejoint nous aussi. C’est pour nous aussi, et pas seulement pour les douze premiers que le Christ a institué l’eucharistie. Heureusement, car la faim nous tenaille constamment au plus intime de nous-mêmes: faim d’amour, faim de paix, faim de justice. Que d’hommes et de femmes manquent de l’essentiel. L’eucharistie nous le rappelle chaque fois que nous célébrons. L’eucharistie nous invite à reprendre la procession, mais d’une autre façon, c’est-à-dire en allant au secours des affamés.
Ce n’est pas négliger la source et le sommet de la vie chrétienne que de quitter la messe pour aller la retrouver dans nos frères et nos soeurs qui ont faim. Les deux mouvements vont de pair et se donnent sens mutuellement.