Une entrevue avec Jo Akepsimas à propos de la musique en liturgie.
Pourquoi y a-t-il dans la liturgie du chant ou de la musique? Est-ce simplement pour apporter un peu de variété, créer de la vie?
Jo Akepslmas: La musique n’est pas indispensable pour faire une célébration. On peut parfaitement célébrer sans musique. Des personnes de grande spiritualité, comme saint Augustin, se sont méfiées de la musique. Mais la tradition de l’Église, depuis des siècles, utilise la musique non seulement parce qu’elle ajoute indéniablement un caractère festif mais aussi parce que – plus que les autres arts, me semble-t-il – la musique possède un caractère immatériel, donc plus apte à créer un espace symbolique. Espace où se balbutie quelque chose de l’ineffable de Dieu. À condition, bien sûr, qu’on ne tombe pas dans les ornières d’une musique trop facile.
Vous parlez de la musique comme d’une réalité immatérielle. Mais la musique fait appel au corps. Elle est très incarnée.
Quand je parle d’immatérialité, je fais référence au support. La peinture ou la sculpture sont touchables et elles ne sont pas autre chose que ce que nous touchons. Pour la Cinquième symphonie de Beethoven, nous avons beau toucher la partition, la musique est ailleurs. Elle dépasse son matériau. En un sens, elle est un peu immatérielle par rapport à tous les autres arts. La musique, comme la poésie, jaillit quand elle est exécutée.
Parce que toute musique est vibration, elle met en mouvement notre corps, d’une certaine manière. Elle éveille probablement des «postures» à l’intérieur de notre corps: par exemple, la posture de la supplication, la posture de l’action de grâce, la posture de la méditation, la posture du cri d’acclamation. Certains liturgistes sémiologues, au lieu du terme «posture», vont parler de «geste vocal», Gino Stefani entre autres. Donc, c’est vrai que la musique ne peut pas laisser notre corps en dehors de sa participation, Notre corps est concerné par la musique.
Cri, supplication, louange: ces différences sont-elles vraiment repérables dans les musiques liturgiques?
Je n’ai pas dit que la musique crée nécessairement une posture, une attitude intérieure. Mais elle la suggère, elle l’éveille en nous. On devrait plutôt dire que si une attitude de prière existe en nous (si nous sommes, par exemple, dans la posture intérieure de supplication), une musique appropriée peut aider, favoriser l’expression de cette attitude-posture. Or, nous avons tendance à mettre sur le même plan toutes les musiques et toutes les façons de chanter les musiques. Choisir des chants uniquement dans le répertoire de certains compositeurs, qui n’écrivent que dans un style, comporte un danger: celui d’uniformiser les postures intérieures, d’uniformiser l’expression de l’être liturgique et d’éliminer d’autres manières de s’exprimer. Plus que le style musical, ce qui est premier c’est la posture intérieure, l’attitude de prière. On ne choisit pas un chant d’abord parce qu’il est rapide, lent, rythmé ou non rythmé, ce serait mettre la charrue devant les bœufs. Avant tout, on devrait se préoccuper de la posture «juste» qui permettrait à l’être humain de célébrer en vérité. Si j’ai à exprimer la louange ou la supplication, la posture ne sera pas la même à l’intérieur de moi. Nous pourrions dire en une formule ramassée: chanter «juste» c’est d’abord habiter une posture «juste».
Vous croyez que les membres des assemblées sont sensibles à cette réalité?
Oui, si on les éveille à cette réalité. Sinon elles deviennent consommatrices de prières, sans être habitées d’une posture intérieure. Si l’on est vraiment habité d’une posture intérieure, on utilisera des styles musicaux appropriés, et donc différents! Car la posture de la supplication n’est pas la même que celle de la louange ou de la méditation.
Donc, avant tout, la musique doit favoriser l’attitude intérieure ou, comme vous dites, la posture intérieure. Assume-t-elle d’autres fonctions dans la liturgie?
La musique dans la liturgie peut jouer plusieurs rôles. Elle peut être au service d’un texte. Elle aidera un texte poétique à rejoindre le cœur des gens comme la chanson amplifie un poème. Dans ce cas, elle doit trouver un juste milieu (encore le mot «juste»!). Si elle se maquille trop, elle va censurer le texte et on ne fera pas attention à ce qu’il dit. Le plaisir musical va «censurer» le texte, elle va lui faire de l’ombre, et le texte passera au deuxième plan. Si la musique est de mauvaise qualité, si elle est trop pauvre, trop grise, le texte passera inaperçu, on n’aura pas envie de chanter. La musique doit porter un texte. C’est un de ses rôles, aider à mieux le méditer, à mieux se l’approprier.
Le deuxième rôle de la musique: créer un espace. Par exemple, la musique instrumentale. Elle essaie de nous ouvrir un peu à l’ineffable de Dieu. Une musique qu’on n’a jamais entendue mais qui attire notre oreille, qui ouvre un espace à l’intérieur de notre cœur, peut nous introduire au mystère de l’inouï de Dieu. Comme aucune parole humaine jamais ne pourra le faire.
La musique a aussi un rôle d’accompagnement. Elle accompagne un rite comme, par exemple, celui de la fraction du pain (Agneau de Dieu). D’autres chants sont eux-mêmes des rites comme le chant de l’Adieu aux funérailles ou le Sanctus de la messe.
Plusieurs rôles, donc plusieurs styles.
Quand l’être s’enlise dans l’uniformité, quelque chose ne «joue» plus. L’être qui célèbre est fait de plusieurs harmoniques, plusieurs composantes, plusieurs postures. Et chaque harmonique, comme dans l’arc-en-ciel, doit être respecté. Le blanc comporte toutes les couleurs en lui-même mais il n’est pas visible. Dans une célébration, nous devons rendre visibles ces différentes couleurs.
Propos recueillis par Denis GAGNON, o.p