Les jardins isolés récoltent de leur silence les grâces multiples des jours animés. Venus de tous les horizons, nos frères et sœurs ont enraciné en ta terre bénie, ô Vierge, la prière incessante d’une Église en marche. Aujourd’hui, le paysage silencieux retient en ses éléments naturels, le mouvement sacré de l’âme humaine tournée vers son Dieu et sa tendre Mère.
Les teintes automnales ont livré le froid aux jardins découverts pour enfin laisser place peu à peu aux premiers flocons qui nous entraînent avec eux dans leur ascension hivernale. Le silence envahissant apparaît plus pénétrant, plus bleuté; le froid transit tout décor créant enfin une nouvelle unification de solitude bienheureuse. En quelques jours, quelques nuits, la vie a joué son interminable mémorial à perpétuer la fidélité des saisons. Alors que nos visions temporelles se transforment, notre appartenance à la Vierge traverse les saisons sous le cachet invisible d’une floraison mariale ininterrompue. Du dehors, la nature joue de ses ébats, du dedans, la présence de Marie illumine paisiblement notre joie.
Les premières neiges étalent leur beauté. Mille et un diamants brillent sous le soleil nourricier, sur les vastes étendues de croûtons de neige vierge où le pas humain n’a pas encore enfoncé son empreinte. Puis, quelques passants imprégneront au sol des traces nouvelles jusqu’au jour où des rafales blanchies, soulevées sous le soleil emporteront dans un tourbillon d’étincelles, leur caresse blanche, jusqu’à ton trône, ô Vierge Mère!
Les hauts faîtes des arbres argentés s’élèvent dans l’azur, ouvrant leurs bras à l’immensité qui les recouvre : la terre est baignée de soleil : «Une femme vêtue de soleil, la lune est sous ses pieds et douze étoiles couronnent sa tête.» (Apoc. 12, 1) Ô Vierge, splendeur de Dieu, douce lumière baignant de ta présente beauté la vallée de nos larmes, tu demeures le tremplin de notre espérance. Puissions-nous boire avec toi et en toi au don de la glorieuse création divine! En ce lieu béni où tes yeux se sont ouverts, prodige de ta délicate tendresse maternelle, je te vénère Marie, ma douce Mère. Du dehors, la toiture du petit sanctuaire recouverte d’une épaisse couche blanche demeure uniforme, aucune imperfection ne ternit la beauté de la vision, aucune lésion ne rebute la droiture de ses nappes. Le clocher avec ses croix émergent de la vision, élèvent notre regard vers les blancs nuages se baladant au milieu de l’azur. Dans ce ciel royal au bleu pénétrant, le manteau de la Vierge recouvre la terre.
La pureté du silence envahit. Le décor transfigure les images. Une douce poudrerie a habillé le paysage d’une blancheur irréelle. Aux arbres argentés, de longues aiguilles garnies de filets blancs soyeux émergent dans le bleu du ciel; collés aux branches, les amas de neige entassés amoureusement gardent la douceur d’une caresse prolongée. L’uniformité des arbres givrés d’une blancheur incandescente perce d’éclat sous les rayons solaires; l’irréelle vison du décor s’illumine, le tout semble figé dans le temps. En cette blancheur qui nous projette hors du temps, j’accueille le don de Dieu. Où le décor enveloppe d’un seul repli de blanc, où les horizons semblent s’arrêter aux confins de la neige accumulée, au cœur du silence imposant, j’ai foi en ta présence ô ma Mère, plus belle que toute création. J’aime Celle qui veille dans le silence. La vie de Marie coule comme une sève miraculeuse au cœur de toute immobilité, elle nourrit tout élément naturel de ses jardins, animant de sa fructueuse présence toute vie qui la regarde. L’immaculée blancheur, impassible dans le temps, garde en secret la beauté de son mystère pour ne le révéler qu’aux petits, aux pécheurs retournés aux sources cristallines du Coeur virginal de Marie.
La vie baigne enfin de gel blanchi sous les rigoureux froids de l’hiver. En quelle contemplation silencieuse nous projette les jardins de Marie! Quelle pureté de silence! Au cœur du frimas inédit surgissent les stations du Chemin de Croix et du Rosaire, les personnages élevés dans la solitude des neiges immaculées se voient emmailloter, de toutes parts, de blancheurs inviolées. Alors que l’immobilité des jardins retient le souffle des glaces cristallines, taillées au contour de dame nature, elles sillonnent le fleuve; une descente chevaleresque de mouvements imposants qui pourtant, sous la mutation des saisons, se dissoudront dans le berceau fluvial.
Et lorsque la noirceur descend dans la nuit glaciale, le décor se transforme de nouveau. Il est venu le temps de la nativité de Jésus. Au mur arrière du petit sanctuaire s’élèvent, illuminés, les personnages de la crèche; l’étoile de Bethléem, transparente des feux de la nuit, surplombe les saints de Noël : la Vierge et l’Enfant, Joseph et les mages, le berger et son mouton. Dans la nuit hivernale, une lumière filtrant le fibre de verre blanc et fin des statues perce la nuit d’une douce clarté.
Gloria in excelsis Deo! Le Christ est né. Sous la pleine lune illustrée d’étoiles scintillantes, tout semble demeurer inerte… j’approche des eaux fluviales; les glaces gisant sous le froid polaire craquent à grands crocs dans la brunante où l’étendue d’eau vaporeuse se colore des reflets bleutés d’un phare élevé entre ciel et terre. Rien ne semble résister à la fascination du froid; la vie elle-même en nos corps s’intensifie d’une vigueur nouvelle. Les poumons s’extasient à respirer l’air vivifiant qui soûle l’âme et le corps, suscitant l’ivresse que veut s’approprier ce souffle vertigineux, embrassant à lui seul la présence palpable du Créateur. Dans ce décor désertique, je vous bénis ô mon Dieu et tendre Mère, en ce silence inviolable qui protège ma joie de me sentir vivante en votre Sanctuaire.