WHATEVER WORKS DE WOODY ALLEN
Le comique peut s’insérer diversement dans les films, occuper une place discrète ou épisodique, avec un humour au second ou même parfois au troisième degré. Mais certaines œuvres sont conçues pour faire rire et seulement dans ce but. N’y a-t-il pourtant pas plusieurs sortes de rires, du facile au sophistiqué, du franc au gêné, et autant de registres comiques ?
Le dernier film de Woody Allen, Whatever works, qu’on pourrait traduire « Du moment que cela marche… », met au premier plan un personnage qui pourrait être le double de lui-même, mais qu’il ne joue pas. Peut-être n’arriverait-il pas, avec son air de chien battu, de clown timide, à être aussi radicalement antipathique ? Et en effet, Larry David, qui incarne Boris Yellnikoff, un scientifique aigri, atrabilaire plein de ressentiment pour l’univers entier, arrive parfaitement à se rendre odieux. Il a des circonstances atténuantes, puisqu’il rate tout, et même son dernier suicide, après être passé si près du Prix Nobel. Il arrive à survivre en donnant des cours d’échecs, au nom bien choisi, en injuriant sans ménagement ses pauvres jeunes élèves. Cet Alceste new-yorkais semble irrécupérable.
Caricature ? Moins que les autres personnages. D’abord une jeune ingénue du Sud profond, venue tenter sa chance et dont l’incroyable naïveté et l’appétit de vivre vont de façon fort invraisemblable transformer le cœur du vieil endurci. Comme si cela ne suffisait pas, la mère de la jeune fille débarque et s’adapte parfaitement à la vie new-yorkaise en devenant une photographe à la mode aux mœurs libérées, tandis que son père, passablement coincé, retrouvera, tout aussi rapidement, ses tendances gays, étouffées par la rigidité de la vie provinciale qu’il avait jusqu’alors menée. Il ne reste plus qu’à faire entrer en scène un jeune premier de convention, qui n’a d’autre rôle ici que d’être le beau brun de service. Chacun trouvant sa chacune ou son chacun pourra vivre son hédonisme qui tiendra donc lieu de bonheur. Et surtout qu’on ne parle plus d’un Dieu qui n’existe pas !
Ce théâtre de marionnettes nous laisse loin du subtil Match Point (2005), pour ne rien dire de l’époque où Woody Allen se prenait pour Bergman ou du moins s’inspirait de lui. Mais on ne me fera pas croire que le cinéaste américain est devenu subitement optimiste ou consensuel, même si dans son testament qu’est Fanny et Alexandre (1982), son maître, le cinéaste suédois, avait glissé vers la célébration de la vie présente, à cueillir au jour le jour.
Derrière cette apparente apologie de la liberté amorale que les métropoles américaines offrent à ceux qu’une éducation rigide et des principes dépassés tenaient emprisonnés, il y a une nouvelle dose de cynisme, un scepticisme encore plus amer. Et même si le spectateur s’y amuse, comme à une bonne comédie, il découvre que ce rire est quand même grinçant.
FAIS-MOI PLAISIR D’EMMANUEL MOURET
Pas si facile l’infidélité !
Rien de tel chez Emmanuel Mouret qui, dans Fais-moi plaisir, reprend les thèmes qu’il avait mis en images dans Changement d’adresse (2006) et Un baiser, s’il vous plaît (2007). Son type de comique n’est pas facile à situer et cela même en fait la valeur. On peut bien discerner une influence de la comédie américaine classique, celle d’un Billy Wilder, par exemple, ou de Blake Edwards dont il plagie joyeusement une scène entière de The Party (1969). Mais au fond, c’est plutôt du côté de Jacques Tati qu’il faudrait chercher, ou plus exactement d’un Tati qui s’entendrait avec un Rohmer se laissant aller au facétieux. Bref, un mélange français, original et délicieux.
Réalisateur et scénariste, Mouret est aussi le héros de ses films. Un peu plus chevelu que d’habitude, mais toujours aussi hésitant, timide et maladroit. Ce Jean-Jacques, malhabile en amour, est pourtant capable d’effectuer un impeccable créneau pour garer sa voiture dans un espace minuscule ! D’ailleurs n’a-t-il pas pour profession : inventeur, même s’il reconnaît être plus doué pour la création que pour l’application ?
Jean-Jacques a envie d’être aimé et d’aimer. En fait, il l’est, mais sa compagne Ariane, jouée par la complice de Mouret, l’irrésistible Frédérique Bel, n’est jamais prête à passer à l’acte. Pour en sortir, Ariane conseille à Jean-Jacques d’inscrire leur amour « dans une force de progrès », en allant jusqu’au bout de son désir pour une autre femme, dont elle soupçonne l’existence. Cela servira d’exorcisme à leur couple. Dès lors le film s’articule sur la quête amoureuse de Jean-Jacques, passant d’une femme charmante à l’autre, sans jamais parvenir à ses fins.
La comédie s’oriente un peu trop vers les pantalonnades à la manière de Feydeau et de Labiche. Le brave Jean-Jacques est la plupart du temps en caleçon, même si c’est sous la forme plus moderne du boxer-short. Il y a aussi le moment érotico-burlesque où le héros coince le voilage d’un rideau dans sa braguette et n’arrive pas à s’en débarrasser. Comme il est l’objet des assiduités de la fille du président de la République, un mélange cocasse de Mitterand-Chirac-Sarkozy, joué par Jacques Weber, cette scène se passe sous les ors de l’Elysée.
On l’aura deviné : malgré ses allures libertines, le film est d’une moralité au-dessus de tout soupçon. La fidélité aura le dernier mot, donnant à penser que, si le désir des sens et de l’aventure, disons des aventures, est bien présent dans ce spécimen masculin qui incarne toutes nos timidités et nos maladresses, c’était l’amour véritable qui le guidait dans ses échecs mêmes.