Auteur : Jérôme Savonarole, en italien Girolamo Savonarola, né à Ferrare, en 1452, mort pendu et brûlé à Florence le 23 mai 1498, est un frère dominicain, prédicateur et réformateur italien, qui institua et dirigea la république théocratique de Florence de 1494 à 1498.
Lettre de Jérôme Savonarole à son père après son entrée au noviciat – Bologne, 25 avril 1475
Mon père très honoré,
Je ne doute pas que mon départ vous a causé de la peine, d’autant plus que je suis parti en cachette ; mais je veux que, par cette lettre, vous écoutiez mon âme et ma volonté qui vous consoleront et que vous compreniez que je n’ai pas agi aussi puérilement que certains le disent.
In primis, les raisons pour lesquelles je veux entrer en religion sont : la grande misère du monde, les iniquités humaines, les stupres, les adultères, les vols, la superbe, l’idolâtrie, les blasphèmes. Le monde est arrivé à un point où il n’y a plus personne qui fasse le bien et moi, plusieurs fois par jour, je récitais en pleurant ce vers : Je fuirai ces terres cruelles, je fuirai ces rivages avares. Je ne pouvais plus souffrir la malignité des peuples aveuglés de cette Italie où les vertus sont abaissées et les vices exaltés.
Ceci était ma plus grande douleur en ce monde où je priais quotidiennement le Christ de m’arracher à cette fange. Très souvent, j’adressais avec la plus grande dévotion cette petite prière à Dieu « Montre-moi la voie que je dois suivre car j’ai élevé mon âme à Toi ». Et Dieu, dans son infinie miséricorde, me l’a montrée et j’ai reçu cette vocation bien que je ne sois pas digne d’une telle Grâce. Dis-moi ! la vraie vertu d’un homme n’est-elle pas de fuir les cochonneries et les iniquités de ce monde misérable afin de ne pas vivre comme une bête parmi les porcs ? En outre, n’aurais-je pas fait preuve d’une grande ingratitude si, après avoir imploré Dieu de me montrer la voie et après avoir été exhaussé, je ne l’avais pas suivie ? Jésus ! plutôt souffrir mille morts que d’être aussi ingrat !
En conséquence, mon père très doux, vous devriez plutôt remercier notre Seigneur Jésus que pleurer : il vous a donné un fils, puis il vous l’a conservé jusqu’à l’âge de vingt-et-un ans et ensuite il a daigné faire de lui son chevalier militant. N’est-ce pas une Grâce suprême que d’avoir un fils en Jésus-Christ ?
Je n’ai rien d’autre à dire si ce n’est que vous réconfortiez ma mère et que, tous les deux, vous m’accordiez votre bénédiction. Pour ma part, je prierai avec ferveur pour vos âmes.
Lettre de Savonarole à Stefano Codiponte, novice, Florence 22 mai 1492
Beaucoup de ceux qui désirent vivre selon le bien, mais sans se soumettre à leurs aînés, cherchent l’impossible en ce monde. Ils veulent en effet demeurer avec les saints, à l’exclusion de tous les hommes mauvais et imparfaits. Et comme ils ne trouvent pas cela, ils abandonnent leur vocation et se laissent aller à l’errance. Mon enfant, il n’y a pas grand mérite à vivre bien parmi les bons. Je dis ceci, cependant, non que les hommes avec qui tu te trouves soient mauvais ; au contraire, ils sont bons, même si certains peut-être sont imparfaits ; mais parce que de ton côté, d’une paille, tu as tendance à faire une poutre.
Certes il faut fuir les hommes mauvais et pervertis. Mais si tu voulais fuir tous les hommes mauvais, tu devrais quitter ce monde. En vérité, tu as déjà quitté ce monde, et tu pensais entrer sur-le-champ au paradis. Au lieu de quoi tu es entré dans l’antichambre du paradis, mais non pas encore au paradis. Dans le monde, tu as vécu au milieu des scorpions ; mais au couvent, il te faut bien vivre parmi des hommes parfaits, des hommes qui progressent et des hommes imparfaits.
S’il se peut que tu rencontres quelque faux frère, tu ne dois pas t’en étonner ; au contraire, c’est de l’inverse que tu devrais t’étonner. En effet, on a trouvé d’impies et pervers persécuteurs des bons dans la maison d’Abraham, et dans celle d’Isaac, et dans celle de Jacob, de Moïse, de David, et même dans la maison de notre Seigneur Jésus-Christ. Aussi comment peux-tu penser qu’il y ait en ce monde une maison sans aucun mauvais ?