La planète est devenue un immense centre commercial encadré dans une religion qui s’appelle l’économie. Au sommet, les biens matériels – ce que nous appelons l’argent – trônent divinement sur un piédestal. Religion qui se veut universelle, à la portée de toutes les âmes sans pour autant être à la portée de toutes les bourses. La religion de l’économie profite à certains plus qu’à d’autres, aux plus forts au détriment des plus faibles. Le tout, sur fond de crise mondiale.
Cette religion n’a pas tendance à accorder la priorité à la personne humaine. La sagesse populaire le dit bien: dans le commerce, il n’y a pas d’amis. Même ceux qui s’associent le font non pas par affinité mais pour mieux faire du profit. La règle fondamentale: augmenter son capital, faire de l’argent.
Ainsi en est-il en ce mois de décembre, à l’approche de Noël. Depuis quelques semaines, les magasins nous imposent de rêver la fête. Ils étalent leur marchandise et nous font leurs suggestions de cadeaux. Les centres commerciaux sont décorés aux couleurs de Noël. Le Père Noël reçoit confidence sur confidence. Les chants de Noël se font aller à qui mieux mieux.
Qu’est-ce que signifie tout cela? Cela veut dire tout simplement que nous sommes invités à fêter avant le temps. Les partys s’échelonnent tout au long de décembre. Nous fredonnons les airs de Noël dès le mois de novembre, neige ou pas neige. Partout, les maisons se parent de lumières multicolores. Les enfants impatients – il y en a à tout âge! – ne résistent pas et déballent leurs cadeaux à la moindre faiblesse.
Avec pour conséquence que le 25 décembre apparaîtra tout au plus comme le terme des réjouissances. Nous serons fatigués, nous en aurons ras le bol. Vite, le sapin ira aux vidanges, en sac vert, blanc ou orange, peu importe. Les jouets seront déjà brisés. Céline Dion et Garou remplaceront «Les anges dans nos campagnes». Nous n’en aurons que pour la dernière seconde de l’année et la première de celle qui suit.
La fête aurait été tellement belle, elle aurait eu tellement de sens, si nous avions pu l’attendre. Elle serait arrivée au sommet après une période de sevrage, un jeûne qui nous aurait fait prendre conscience de l’importance de ce que nous fêtons. Nous aurions pris le temps de rêver: que sera Noël cette année? qui sera là? que ferons-nous ensemble? la fête nous permettra-t-elle de nous dire nos amours? d’exprimer le sens de la vie? Autant de questions qui n’arrivent pas nécessairement à l’esprit parce que nous plongeons trop vite dans les réjouissances. Trop vite, nous possédons Noël; nous n’avons pas eu l’occasion de le conquérir. Or, ce qui nous enrichit vraiment, ce n’est pas ce que nous possédons, mais ce que nous avons gagné de chaude lutte. Notre bonheur ne se trouve pas dans les biens que nous avons, mais dans le sens que nous leur donnons.
Depuis toujours, Noël attire notre attention sur les plus démunis. Nous participons aux guignolées et aux paniers de Noël pour les pauvres. Mais nos nouvelles habitudes de consommateurs ne nous permettent pas nécessairement de faire l’expérience de la pauvreté. Nous n’avons pas faim, nous n’avons jamais faim, parce que nous nous donnons tout tout de suite. Et si nous n’avons jamais faim, comment arrivons-nous à saisir la souffrance de ceux et celles qui ont toujours faim?
Noël est devenu du fast food. Nous le consommons dès que nous sentons un petit creux. Nous nous privons de l’attendre, de le préparer jusqu’au fond de nous-mêmes.