En veillant sur le perron, du soir à l’aube
Jésus parlait à ses disciples de sa venue : « Prenez garde, veillez : car vous ne savez pas quand viendra le moment.
Il en est comme d’un homme parti en voyage : en quittant sa maison, il a donné tout pouvoir à ses serviteurs, fixé à chacun son travail, et recommandé au portier de veiller. Veillez donc, car vous ne savez pas quand le maître de la maison reviendra, le soir ou à minuit, au chant du coq ou le matin. Il peut arriver à l’improviste et vous trouver endormis. Ce que je vous dis là, je le dis à tous : Veillez ! »
Commentaire :
Avec ce premier dimanche de l’Avent, nous entrons dans une nouvelle année liturgique, où l’Évangile de Marc sera notre premier guide. Et cette année commence en nous situant dans un vaste horizon, celui de l’attente de la venue du Christ, de son retour qui achèvera l’histoire humaine. Ce temps d’attente est source d’incertitude : vous ne savez pas le quand de cette venue, répète Jésus. Alors, comment vivre en attendant ? La consigne est claire : avant et après la parabole du maître parti en voyage, Jésus appelle à veiller. De plus, veiller est mentionné deux fois dans la parabole. La consigne est vraiment claire ! Mais, attendre en veillant, qu’est-ce que cela veut dire ?
Et tout d’abord, qu’attendons-nous ? Attendons-nous encore quelque chose qui nous donne le goût de veiller un peu plus tard ? Peut-être attendons-nous la grande catastrophe qui éliminera tous nos problèmes, et nous en même temps, ou la grande révolution qui changera la face de la terre de façon automatique ? D’ici là, pas besoin de veiller, car il n’y a rien à préparer ; tout se réglera tout seul ou par d’autres que nous. Ou bien le monde nous semble-t-il si banal qu’il n’y ait plus rien à attendre ? Plutôt que de s’exciter sur les temps à venir, il suffit de bien s’engloutir dans le quotidien immédiat. Nos gestes et paroles n’ont aucune portée sur notre monde et nous-mêmes. Il n’y a rien à prévoir.
Au fond, dans les deux cas, la vie devient plate et l’être humain inconsistant. De nouvelles fatalités vont décider de nos vies, en dehors de nous. Il n’y a plus d’histoire, rien que des instants sans continuité. Le présent est indifférent. Que faire alors, sinon s’évader dans le train-train d’un monde sans avenir ou au cinéma des rêves consolants ? Nous n’avons rien à décider ou à faire personnellement, car il n’y a pas d’urgence. Aucune urgence. Vivons la tête dans les nuages ou bien la tête enfouie dans le sol.
Jésus nous dit: Veillez, car vous ne savez pas quand viendra le moment. Quant on ne le sait pas d’avance, quand on n’attend: rien, on ne se prépare pas. Mais quand on le sait ? Veiller, se préparer, de quoi s’agit-il ? De vivre dans l’angoisse constante, de nous exciter sur le jour et l’heure? Jésus nous invite à ne pas nous endormir ou nous agiter, car le présent est important, dense. L’avenir se prépare, car il y a un avenir à espérer. Nos actes et nos attitudes ne sont pas indifférents; ils portent sens, ils ont des conséquences. Il y a des enjeux et des urgences qui nous concernent personnellement, car l’être humain et son histoire sont consistants. Nous ne sommes pas que des machines à produire et rêver: nous avons une histoire à vivre consciemment.
Jésus nous dit : Veillez. Le Royaume déjà là et à venir, il se prépare. Il ne sera pas un rendez-vous de curieux et de voyeurs. II implique chacun, avec des décisions à prendre aujourd’hui. Chacun de nous, et non l’autre à côté. Ainsi seulement !’autre, à côté de nous, pourra-t-il s’éveiller à son tour et se tenir prêt. Veiller, c’est préparer le Royaume. Cette veille se traduit en gestes qui signifient l’espérance du Royaume. Jésus met en question nos passivités de blasés insouciants, de spectateurs de l’histoire. Il nous ramène au présent, avec un horizon qui ouvre l’aujourd’hui et le rend encore plus intense. Vivre ni dans un monde clos, ni dans un monde illusoire. Refuser la noyade ou la fuite. Ce qui nous arrive est important ; à nous d’avoir les yeux ouverts sur le réel, plutôt que le nez collé dessus ou les yeux fermés.
Jésus nous dit : Veillez, le maître de maison va revenir. Nous ne savons pas quand, mais ce qui compte, ce sont les heures qui précèdent et dont nous sommes responsables : le temps de l’Église. Veiller sans angoisse, car il s’agit d’attendre la venue joyeuse de quelqu’un. Et veiller avec d’autres : nous risquons moins de nous endormir.