1 Du maître de chant. Sur hautbois et harpe. Psaume. De David.
Aleph 2 Je te rends grâce, Yahvé, de tout mon cœur,
j’énumère toutes tes merveilles,
3 j’exulte et me réjouis en toi,
je joue pour ton nom, Très-Haut.
Bèt 4 Mes ennemis retournent en arrière,
ils fléchissent, ils périssent devant ta face,
5 quand tu m’as rendu sentence et jugement,
siégeant sur le trône en juste juge.
Gimel 6 Tu as maté les païens, fait périr l’impie,
effacé leur nom pour toujours et à jamais ;
7 l’ennemi est achevé, ruines sans fin,
tu as renversé des villes et leur souvenir a péri.
Hé Voici, 8 Yahvé siège pour toujours,
il affermit pour le jugement son trône ;
9 lui, il jugera le monde avec justice,
prononcera sur les nations avec droiture.
Vav 10 Que Yahvé soit un lieu fort pour l’opprimé,
un lieu fort aux temps de détresse !
11 En toi se confient ceux qui connaissent ton nom,
tu n’abandonnes point ceux qui te cherchent, Yahvé.
Zaïn 12 Jouez pour Yahvé, l’habitant de Sion,
racontez parmi les peuples ses hauts faits !
13 Lui qui s’enquiert du sang se souvient d’eux,
il n’oublie pas le cri des malheureux.
Hèt 14 Pitié pour moi, Yahvé, vois mon malheur,
tu me fais remonter des portes de la mort,
15 que je publie toute ta louange
aux portes de la fille de Sion, joyeux de ton salut.
Tèt 16 Les païens ont croulé dans la fosse qu’ils ont faite,
au filet qu’ils ont tendu, leur pied s’est pris.
17 Yahvé s’est fait connaître, il a rendu le jugement,
il a lié l’impie à son propre piège.
Sourdine
Pause
Yod 18 Que les impies retournent au shéol,
tous ces païens qui oublient Dieu !
Kaph 19 Car le pauvre n’est pas oublié jusqu’à la fin,
l’espoir des malheureux ne périt pas à jamais.
20 Dresse-toi, Yahvé, que l’homme ne triomphe,
qu’ils soient jugés, les païens, devant ta face !
21 Jette, Yahvé, sur eux l’épouvante,
qu’ils connaissent, les païens, qu’ils sont hommes !
(Bible de Jérusalem)
Le Psaume 9 a deux grandes caractéristiques. D’abord, dans le texte hébreu de la Bible, il forme avec le Psaume 10 ce qu’on appelle un psaume alphabétique, c’est-à-dire que le début de chaque strophe suit les lettres de l’alphabet. Ensuite, dans le texte grec de la Bible, à cause justement de cette structure alphabétique si particulière (cf. aussi Ps 25 ; 34), il ne forme qu’un seul psaume avec le psaume 10.
On peut penser que les psaumes 9 et 10 formaient au début une unité et que plus tard on a distingué, dans la prière liturgique, ce psaume alphabétique en deux unités, le Ps 9 qui nous parle davantage d’une crise nationale et le Ps 10 qui aborde la crise d’un point de vue plus individuel.
Toutefois, nous devons remarquer certaines irrégularités dans cette structure : aucune strophe ne commence par la lettre d (Dalèt) ; le nombre de lignes assignées à une lettre varie (cf. Yod v. 18 et Kaph vv. 19-21).
Certains auteurs considèrent que le psaume provient du Nord d’Israël, ce qui expliquerait certaines difficultés d’interprétation. Cela semble difficile à accepter, et ce psaume représente plutôt la piété des Judéens rassemblés autour du Temple de Jérusalem à l’époque perse. Ils connaissent les actes que Dieu a faits, dans le passé, pour Israël et pour Juda ; mais ils se rendent compte que l’expérience concrète qu’ils font n’a plus rien à voir avec cela. Israël/Juda est devenu une entité insignifiante dans le concert des nations. Alors pour ne pas perdre espoir ils se tournent vers le Seigneur, ils lui rappellent toutes ses actions merveilleuses en faveur de son peuple et lui demandent de réitérer ce qu’Il fit autrefois pour leurs Pères.
C’est un psaume d’action de grâces qui comme tous les psaumes d’action de grâces va faire le souvenir des actions de Dieu en faveur du peuple. À cause de son alternance entre prière vers Dieu et souvenir des actions de Dieu, ce psaume rappelle le Ps 22. Le psaume s’intéresse à la fois à l’expérience actuelle du croyant qui crie vers Dieu et aux actions passées de Dieu qui montre combien Il est proche de ceux qui l’appellent.
Les irrégularités repérées dans la structure alphabétique et l’alternance de prière de demande et d’action de grâces sont au diapason de l’expérience décrite dans ce psaume. Nous pouvons y trouver là le sens général du psaume. La vie, et en particulier la vie avec Dieu pour le croyant, devrait être bien ordonnée comme les lettres de l’alphabet, mais l’expérience que nous faisons est tout autre. Il y a eu dans nos vies des échecs, des événements qui font mal, des situations qui semblent être des impasses.
Sa structure est assez simple à relever : il y a deux grands blocs d’action de grâces et d’éloges des actions divines du passé (vv. 2-13 ; 16-19) auxquels répondent deux appels à l’aide (vv. 14-15 ; 20-21).
D’une façon générale, on peut dire que le psaume nous raconte ce que Dieu a fait dans le passé, qu’il s’afflige de la façon dont les choses se passent dans le présent, qu’il appelle Dieu à agir maintenant comme Il l’a fait autrefois, et finalement qu’il exprime sa conviction qu’Il fera ainsi.
Une caractéristique de ce psaume consiste dans la répétition de certains mots, parfois avec une signification différente. On joue de la musique pour le nom du Très-Haut (cf. v. 3), celui-là même qui a effacé pour toujours le nom des païens. Les ennemis, les impies périssent devant la face de Dieu (vv. 4.6). Le souvenir même de ces ennemis a péri (v. 7), mais l’espoir des malheureux, qui a toute sa confiance en Dieu, ne périt jamais (v. 19).
Le nom des impies est effacé pour toujours (v. 6) et c’est pour toujours que siège sur son trône de gloire le Seigneur (v. 8). Si Dieu n’ignore pas le cri des malheureux (v. 13), les païens ignorent Dieu (v. 18).
Dieu délivre le juste des portes de la mort (v. 14) aussi fera-t-on son éloge devant les portes de la fille de Sion, c’est-à-dire Jérusalem (v. 15).
Il est possible enfin qu’il y ait un jeu de mots, au v. 6, entre goyim, « les païens », et gé’im, « les orgueilleux ».
vv. 2-5 : le psaume commence comme une action de grâces, mais en même temps l’auteur de ce psaume attend avec impatience que Dieu agisse. Les quatre stiques des vv. 2-3 commencent par un verbe à la première personne du singulier, c’est-à-dire qu’en hébreu on va trouver l’équivalent de la lettre a (aleph), première lettre de l’alphabet, première strophe de notre psaume alphabétique. C’est une façon tout à fait remarquable pour signifier le commencement du psaume. De plus, les références à Yahvé, au début, et au Très-Haut, à la fin, encadrent ces quatre stiques.
Le v. 2 commence par « Je te rends grâce, Yahvé, de tout mon cœur » comme pour le Ps 138 et pourrait suggérer qu’il s’agit là d’un psaume d’action de grâces. Ce v. 2 se poursuit par l’expression « toutes tes merveilles » qui nous fait comprendre que nous ne sommes pas là dans un psaume individuel, mais collectif. En effet, ces actes merveilleux renvoient toujours à ce que Dieu a fait dans sa Création et dans l’histoire d’Israël (cf. Ps 26,7 ; 78,4 ; 106,7).
C’est la dernière fois de tout le psaume que l’on trouve, dans le v. 5, la première personne du singulier (« quand tu m’as rendu sentence »). Le reste du psaume rappellera les grandes actions de Dieu dans l’histoire du peuple.
De ce point de vue, les vv. 3-4 font référence non seulement à ce que Dieu a déjà fait dans le passé ou à ce qu’Il fait habituellement, mais aussi à ce que le suppliant attend de Dieu pour le présent. Le psalmiste ici ne rend pas seulement un témoignage sur les actions merveilleuses de Dieu, mais il a besoin que Dieu agisse concrètement encore dans sa vie.
vv. 6-11 : Le suppliant du psaume se trouve dans une position intermédiaire entre la réalité de Dieu délivrant le peuple d’Israël dans le passé, et un besoin d’affranchissement dans le présent. On commence à rappeler les actes de Dieu dans l’histoire d’Israël (vv. 6-7) avec deux conséquences directes : l’affirmation de la royauté divine (vv. 8-9) et la confiance du croyant envers Dieu (vv. 10-11).
Le psaume renvoie de façon implicite au récit de l’Exode et à la conquête de Josué. Le Seigneur a fait périr l’ennemi égyptien pour toujours (cf. Ex 14,13 ; 15,6 ; Dt 11,4), non pas à cause de la juste conduite du peuple d’Israël, mais en raison de la perversité de l’Égypte (cf. Dt 9,4-5). Mais dans l’histoire d’Israël, Dieu a maté d’autres peuples. Ainsi Il a déclaré son intention d’éliminer la mémoire d’Amaleq (Ex 17,14) de sorte qu’Amaleq périsse pour toujours parmi les nations (Nb 24,20).
Le v. 7 entrelace deux aspects de cette dévastation : l’élimination d’un peuple et la destruction de leurs villes. D’une part, l’ennemi est considéré comme une ville qui est à l’état de ruines. D’autre part, on parle des villes en les comparant à des peuples dont on ne se souvient plus. Nous pouvons aussi noter que tout ce que subissent les nations (la dévastation, l’élimination du nom, les ruines) pourrait très bien un jour se retourner contre le peuple d’Israël si celui-ci devient infidèle au Seigneur !
Les vv. 8-9 renvoient également au récit du passage de la Mer Rouge car à la fin du chant de victoire on lit : « Yahvé, règnera pour toujours et à jamais ». Au v. 5, la justice divine ne concerne que le suppliant alors qu’au v. 9, c’est le monde qui est jugé avec justice. La sentence divine doit toujours s’exprimer de façon juste, c’est-à-dire qu’elle ne peut pas favoriser Israël d’une façon qui ignorerait les droits des autres peuples.
Dire que le Seigneur n’a pas abandonné Israël, c’est dire que le Seigneur a accompli la promesse faite avant l’entrée en Terre sainte (Dt 31,6 ; Jos 1,5).
vv. 12-13 : Dieu est décrit, une nouvelle fois, comme étant assis (cf. vv. 5 et 8), mais maintenant à Sion c’est-à-dire à Jérusalem, dans son Temple, qui est l’équivalent terrestre du palais grandiose où Dieu demeure au Ciel. C’est sans doute une indication géographique pour nous, ceux qui ont écrit ce psaume appartiennent à la communauté des Judéens qui se rassemblaient, après l’Exil, autour du Temple de Jérusalem.
Mais en même temps le récit des hauts faits de Dieu doit pouvoir se faire parmi les nations (cf. Ps 57,10 ; 108,4). Dieu s’enquiert du sang et n’oublie pas les malheureux car leur cri est comme celui d’Abel, le cri du sang qui provient de la terre (cf. He 12 ,24 : « le sang de Jésus qui parle plus fort que celui d’Abel »).
vv. 14-21 : À partir du v. 14, le psaume se transforme en prière de demande. Comme pour les psaumes 44 et 89, c’est le rappel des actes passés de Dieu qui est au cœur de la prière du psalmiste. Si Dieu a ainsi agi dans le passé, alors il est permis d’espérer qu’Il continuera d’agir de la même façon aujourd’hui et demain. Nous avons déjà noté l’opposition entre les portes de la mort, où il est impossible de louer Dieu (cf. Ps 6,6), et les portes de Sion, lieu, par excellence, où l’on peut offrir à Dieu son action de grâce.
Sainte Thérèse de Lisieux parle de Dieu comme d’un ascenseur qui nous fait passer de la terre au Ciel. Nous trouvons ici la même image thérésienne de l’ascenseur. Il ne s’agit pas de passer ici du monde terrestre au monde céleste, mais de passer du monde souterrain du séjour des morts au monde des vivants. En effet, les attaques des impies conduisent le suppliant aux portes de la mort. Dieu alors agit comme un ascenseur qui le fait remonter des profondeurs de la mort. C’est l’expérience de Jésus le jour de Pâques. Jésus, qui comme le psalmiste, peut dire au Père : « Oui, j’ai accompli le voyage jusqu’aux profondeurs extrêmes de la terre, dans l’abîme de la mort ; et maintenant je suis ressuscité et je suis pour toujours saisi par tes mains. »
Mais cette expérience du Psalmiste, que Jésus a connu le Samedi Saint, est aussi la nôtre. Dieu le Père dit à chacun d’entre nous : « Ma main te soutient. Où que tu puisses tomber, tu tomberas dans mes mains. Je suis présent jusqu’aux portes de la mort. Là où personne ne peut plus t’accompagner et où tu ne peux rien emporter, là je t’attends et je change pour toi les ténèbres en lumière. »
Quand le v. 18 dit que les impies retournent au Shéol, cela ne signifie pas qu’ils retournent d’où ils sont venus. Dieu peut dire à l’homme qu’il va retourner au sol puisqu’il en fut tiré (cf. Gn 3,19), mais aucun homme ne provient du Shéol. Ce retour des impies est, en fait, un renvoi au v. 4 : « Mes ennemis retournent en arrière, ils fléchissent, ils périssent devant ta face. »
À plusieurs reprises, le psaume a dit que le Seigneur siégeait sur son trône (cf. vv. 5 et 8), mais tout à la fin, il souhaite que le Seigneur se dresse (cf. v. 20) pour agir au lieu de laisser les choses continuer ainsi.
Fr. Marc Leroy, o.p.
École biblique de Jérusalem