On parle toujours de l’ami Pierrot. En fait, dans le chant, c’est tout de même celui qui refuse d’ouvrir à son ami qui n’a plus de feu. Lubin, c’est celui qui dérange ses voisins à une heure où les gens peuvent être raisonnablement endormis. On comprend un peu Pierrot qui est bien au chaud sous les couvertures.. Il l’oriente alors chez sa voisine qui est encore debout et fait du feu.. L’histoire retiendra Pierrot. Pourtant, l’aimable Lubin est essentiel dans ce récit, car sans lui rien n’advient. Il est en situation de dépendance face aux autres. Il lui manque de la lumière et seuls ses voisins peuvent l’aider.
Nous sommes dans un monde d’autonomie. On nous encourage à régler nos affaires seuls, et à ne pas déranger les autres. En fait, il y a un peu d’orgueil là-dessous. On ne veut surtout pas être redevable d’autrui, alors on se débrouille soi-même. C’est le fait d’une société individualiste. Dès la prime enfance, le mot d’ordre est «autonomie». À peine né, déjà il doit savoir s’endormir seul. On éduque nos enfants à s’habiller eux-mêmes le plus tôt possible, à savoir nager dès deux ans, à connaître leurs coordonnées afin de ne pas être mal pris. On peut se demander le pourquoi de telles mesures de précaution alors qu’un jeune enfant est sensé être protégé par les adultes qui l’entourent. Ne devrait-il pas pouvoir compter sur eux?
On grandit malheureusement dans les mêmes dispositions. Ce qui engendre, sans doute dans une certaine proportion, le phénomène de solitude en ville où l’individualisme isole. Des personnes âgées peuvent mourir dans l’appartement et cela sans qu’on ne le remarque. À vivre pour soi, on glisse tout doucement vers l’indifférence. Je ne demande rien à personne, je ne dois rien aux autres. Ma porte reste fermée comme Pierrot.
Le couple moderne n’échappe pas à ce courant. Chacun son compte, pas de dépendance financière. On a peur de tout ce qui rappelle la «fusion», considérée malsaine. Donc, chacun aura ses amis et ses activités propres. Il en faut bien entendu, là n’est pas le propos. Il s’agit de déterminer dans quelles proportions l’individu primera dans le couple. Rappelons-nous que nous sommes appelés à ne former qu’une seule chair. Et pour cela, il nous faut un peu fusionner ! Il n’est pas mal d’avoir besoin de l’autre, bien au contraire. Pour que le couple soit, cela demande une saine interdépendance.
C’est quand je peux me passer de l’autre que l’union est en danger. La vie conjugale n’est pas toujours facile. S’il faut parfois s’aérer, le défi demeure de rester tendrement en présence l’un de l’autre. Pour y parvenir, je dois avoir besoin d’être avec l’autre. Il faut que son absence me pèse, que j’attende avec joie son retour! Je ne dois pas pouvoir me passer de l’autre.. Bien sûr, au quotidien, je saurai faire mes tâches sans l’autre, mais l’objectif sera d’être à nouveau réuni.
Il nous faut apprendre dans le couple à être comme Lubin, celui qui n’hésite pas à aller vers l’autre pour chercher de la lumière. N’hésitons pas non plus à être celui qui ouvre et donne la lumière à l’autre. Car le couple n’est pas la réunion de deux individus parfaitement autonomes, mais l’union de deux êtres interdépendants qui demande et donne tout autant!