Nous continuerons à vous présenter, durant cette année consacrée à saint Paul, des extraits d’homélies de saint Jean Chrysostome (voir notre introduction du mois de Juin 2008). Dans cette première homélie qu’il consacre à saint Paul, Jean d’Antioche fait l’éloge de son prédicateur favori.
1. On ne se tromperait guère en comparant la personnalité de Paul à une prairie où croissent les vertus, en la comparant encore au jardin de l’Esprit-Saint : tant il est vrai que la grâce fleurissait en lui, et abondamment, mais qu’il mettait dans ses actes, aussi bien, une sagesse digne de la grâce reçue.
2. Vase d’élection, parfaitement purifié en ses profondeurs, c’est à profusion qu’il vit se déverser sur lui le don de l’Esprit-Saint. Ainsi, fut-il pour nous la source de fleuves merveilleux, non pas quatre fleuves seulement, comme il en jaillissait au paradis (Gn 2, 10-14), mais un bien plus grand nombre, qui, jour après jour, ne cessent de couler, et qui, au lieu d’arroser la terre, réveillent nos âmes pour les rendre fécondes, et leur fruit, c’est la perfection.
3. Quelles paroles pourraient être à la hauteur de ses mérites ? Quel langage pourrait se hisser au niveau des vertus qui provoquent son éloge ? Quand on trouverait réuni, en effet, en une seule personne tout ce qu’il y a de noble chez les hommes, et tout cela porté à son plus haut degré, et pas seulement chez les hommes, mais jusque chez les anges, comment venir à bout des louanges à célébrer, quand elles doivent avoir cette ampleur ?
4. Eh bien, voilà, à coup sûr, une raison, oh ! non pas de nous taire, mais, bien plutôt, justement, de parler, et une excellente raison même. Car tel est bien le genre d’hommage qui est le plus considérable : c’est d’avouer que l’ampleur des mérites dépasse, et de très loin, l’abondance oratoire, et cette défaite-là a plus d’éclat, à nos yeux, que tous les triomphes possibles de la parole.
Comment donc aborder de la manière la plus adéquate son éloge ? Comment, sinon en montrant ce que justement j’ai affirmé tout à l’heure, qu’il réunit les vertus que l’on voit dans les hommes pris dans toute leur diversité. Prophètes, patriarches et tous les justes, apôtres et martyrs ont-ils montré quelque grandeur, voilà que Paul rassemble, en lui tout seul, ce qu’il y a de beau en chacun, et il le porte à un degré de perfection que nul, là même où il excellait, n’avait atteint. Regardez bien.
Abel présenta un sacrifice (Gn 4, 4), et c’est ce qui vaut à son nom d’être encore aujourd’hui cité solennellement. Cependant que l’on fasse paraître devant tous Paul, qui, lui aussi, offrit un sacrifice, et sa supériorité éclatera, aussi vrai que le ciel domine la terre… Mais quel est donc le sacrifice, dont vous voulez que je vous parle ? Car il ne s’agit pas du tout ici d’un et un seul sacrifice ! Chaque jour, en effet, c’est lui-même qu’il offrait, et double même était son offrande : chaque jour il mourait (1 Co. 15, 31), et partout il portait en son corps les souffrances de mort (2 Co 4, 10). Sans cesse, il était à son poste pour affronter les périls, sans cesse il s’immolait, volontairement, et il mortifia les instincts (de la chair au point de n’avoir rien à envier aux victimes que l’on égorgeait, et de faire de lui une victime à plus juste titre. Car loin d’immoler bœufs et brebis, c’est lui-même qu’il sacrifiait, quotidiennement et doublement. Aussi pouvait-il aller jusqu’à dire hardiment : Voici que moi déjà, je suis répandu en libation (2 Tm 4, 6).
Néanmoins, il ne se contenta pas de ces sacrifices : à la consécration parfaite de lui-même, il ajouta l’offrande de la terre entière, offrande des continents et offrande des mers, offrande de la Grèce comme des pays barbares, et il se transporta dans toutes les contrées, sans exception, qui sont sous le soleil, dans toutes, comme s’il s’était donné des ailes ; et rien en lui du simple coureur de routes, non ; au passage, il arrachait les ronces que sont les péchés pour semer profondément la parole d’où germe l’adoration de Dieu, il dissipait l’erreur, suscitait la vérité, faisait des hommes des anges, que dis-je, des démons il faisait des anges, et c’étaient les hommes. Aussi, songeant au jour où il quitterait ce monde, après avoir versé tant de sueur et accumulé tant de trophées, il exhortait ses disciples en ces termes : Si mon sang même doit se répandre en libation sur le sacrifice et l’oblation de votre foi, j’en suis heureux et m’en réjouis avec vous tous, soyez heureux, à votre tour, et réjouissez-vous en avec moi (Ph 2, 17-18).
Quel sacrifice alors, pourrait égaler le sien, quand la lame qu’il tenait c’était le glaive de l’Esprit Saint (Ep 6, 17), quand l’autel où il se présentait est au plus haut des cieux.
Mais, direz-vous, Abel périt (Gn 4, 8), frappé par une ruse meurtrière de Caïn, et cela n’a fait qu’ajouter à sa gloire. Sans doute, mais j’ai compté, moi, je vous le dis, un nombre infini de morts, autant de morts de Paul que de jours passés par notre bienheureux à proclamer le Christ. Et si vous voulez considérer son sacrifice, quand il en vint, cette fois, à faire l’expérience même de la mort, vous verrez qu’Abel est tombé sous les coups d’un frère qu’il n’avait pas plus lésé que comblé de bienfaits, tandis que Paul fut la victime de ceux-là mêmes qu’il s’efforçait d’arracher à des maux sans nombre, de ceux-là mêmes pour qui il avait enduré toutes ses épreuves.
(à suivre…)