Qui, alors qu’il entrait dans une cathédrale, n’a pas été impressionné par un portail majestueux ? C’est la fonction du Ps 1 par rapport à tout le psautier : il constitue une préface qui résume la doctrine morale du livre, il ouvre le chemin de tout le psautier. Un choix fondamental est devant tout être humain… Deux chemins s’affrontent ; un seul conduit au bonheur.
1 Heureux est l’homme qui n’entre pas au conseil des méchants,
qui ne suit pas le chemin des pécheurs,
ne siège pas avec ceux qui ricanent,
2 mais se plaît dans la loi du Seigneur
et murmure sa loi jour et nuit !
3 Il est comme un arbre planté près d’un ruisseau,
qui donne du fruit en son temps,
et jamais son feuillage ne meurt ;
tout ce qu’il entreprend réussira,
4 tel n’est pas le sort des méchants.
Mais ils sont comme la paille balayée par le vent :
5 au jugement, les méchants ne se lèveront pas
ni les pécheurs, au rassemblement des justes.
6 Le Seigneur connaît le chemin des justes,
mais le chemin des méchants se perdra.
Texte
Le Ps 1 ne comporte pas de titre, ce qui est exceptionnel et démontre bien sa fonction de préface. Si l’on se fie à une variante de Ac 13,33 et à certaines traditions juives, il semble que les Ps 1 et 2 aient déjà été unis en un seul psaume s’ouvrant et se terminant par une béatitude et la mention du chemin (Ps 1,1 vs 2,12).
• v.3 Les mots « tout ce qu’il entreprend réussira » sont souvent considérés comme une addition venant de Jos 1,8.
• v.4a La Septante grecque a deux fois « tel n’est pas ».
• v.4b Après « la paille balayée par le vent » le grec et le latin ajoutent « de la surface de la terre ».
• v.5a Le grec lit « assemblée » des justes, c’est-à-dire le même mot qu’au v.1 (les deux mots hébreux d’ailleurs, sont très semblables).
• v.6a La grande majorité des traducteurs comprend la phrase avec Dieu comme sujet du verbe « connaître ». Mais la phrase est ambiguë et on pourrait aussi comprendre que c’est le chemin du juste qui « connaît » le Seigneur. Ainsi, les deux verbes du v.6 auraient « chemin » comme sujet. Dans ce cas, le chemin du juste mène à la connaissance tandis que le chemin du méchant mène à la perdition.
Genre littéraire
On inclut ce psaume parmi les « psaumes didactiques » ou « psaumes sapientiels ». Ces psaumes ont spécialement pour but d’instruire, d’enseigner. La pédagogie n’est pas liée ici à une forme littéraire particulière ; le psalmiste emploie diverses méthodes : leçons de l’histoire (Ps 78, 105 ; 106), exhortations à la manière des prophètes (Ps 14 ; 50 ; 52 ; 53 ; 75 ; 81), monitions, réflexions sapientielles sur des problèmes de morale (Ps 49). À l’exemple des sages, ils utilisent le proverbe ou des procédés alphabétiques (Ps 37 ; 112 ; 119) qui facilitent la mémorisation. Voir encore Ps 73 ; 127 ; 133 et surtout le long Ps 119 qui compte 176 versets ! Parmi les sujets abordés dans ces poèmes sapientiaux, la Loi occupe une place privilégiée (Ps 1 ; 19,8-14 et 119). Méditée avec amour, elle est une source inépuisable de bienfaits. Les psalmistes proclament aussi le bonheur du juste, la ruine du méchant et abordent les problèmes de la rétribution et de la mort (Ps 37 ; 49 ; 73). Le Ps 1 renferme les deux idées : excellence de la Loi et foi en la doctrine de la rétribution temporelle, à savoir bonheur pour les justes et châtiment pour les méchants.
La date du psaume, comme c’est souvent le cas, est très difficile à préciser. On le date généralement de l’époque exilique (5e-4e siècle avant Jésus-Christ), c’est-à-dire au moment du retour d’exil, alors que la reconstruction du temple de Jérusalem et le développement de la Torah prirent une si grande importance dans la communauté israélite.
Structure
Le psaume consiste en un diptyque à volets antithétiques (v.1-3//4-5) suivi d’une conclusion qui synthétise tout le contenu (v.6). Première partie, la voie du juste (v.1-3) : une négation (v.1) ; une affirmation (v.2) ; un symbole végétal (v.3). Deuxième partie, la voie de l’impie (v.4-5) : un symbole végétal (v.4) ; une négation (v.5). Le psaume développe davantage la partie sur le juste que celle sur les impies.
Commentaire
Première partie : la voie du juste (v.1-3).
• v.1a La Bible contient plusieurs « béatitudes », genre caractéristique de la littérature de sagesse. Elle exprime une louange, une salutation ou un souhait (cf. Dt 33,29 ; 1 R 10,8 ; Is 30,18 ; 56,2 ; Ps 32,1-2 ; 33,12 ; 112,1.8 ; Jb 5,17 ; Pr 3,13 ; 8,34 ; Mt 5,3-11 ; 16,17 ; Lc 1,45 ; 6,20-22 ; 11,27-28). La béatitude ne naît pas de l’accomplissement de préceptes moraux mais de la relation d’amour qui s’établit entre le Dieu de l’alliance et le croyant. Cette première phrase de tout le psautier donne un ton joyeux à tout l’ensemble.
• v.1b Le « chemin » désigne dans la Bible, outre le sens littéral du mot, une manière de vivre, un comportement, ou même une option morale et/ou religieuse (Dt 5,33 ; Jg 2,17.22 ; 1 S 12,23 ; 2 S 22,22 ; Jb 31,7 ; Ps 16,11 ; 26,12 ; 107,17 ; 119,9.15.35.101.104.128 ; Pr 2,8 ; 3,31 ; 4,14). Aussi, dans les Actes des Apôtres, la « Voie » désigne-t-elle le christianisme naissant (Ac 9,2 ; 16,17 ; 18,25-26 ; 19,9 ; 22,4 ; 24,22). Ici, la voie du juste est d’abord décrite négativement et trois termes désignent ceux que le juste doit éviter : « les méchants, les pécheurs, ceux qui ricanent ».
• v.1c « Ceux qui ricanent ». Dans la tradition des sages, ce mot désigne les hommes rebelles aux enseignements (Jb 17,2 ; Jr 15,17), et il apparaît surtout dans le livre des Proverbes (Pr 1,22 ; 3,34 ; 9,7-8.12 ; 13,1 ; 14,6 ; 15,12 ; 19,25.29 ; 21,24). Ce sont des esprits forts, des ricaneurs sceptiques qui, dans leur orgueil, méprisent les pauvres imbéciles qui prennent au sérieux les lois et les ordonnances du Seigneur. Dans ce verset, il faut remarquer la progression des verbes qui caractérisent les différentes attitudes de l’homme qui choisit le mal : « entrer (= marcher), suivre, siéger », Le juste, c’est celui qui n’entre pas dans l’engrenage du mal.
• v.2a La voie du juste est maintenant décrite positivement. Elle est joyeuse parce qu’elle est fondée sur l’adhésion à la Torah. La Loi du Seigneur apparaît comme une révélation offrant à l’homme une direction pour sa vie. Source de joie pour le psalmiste (Ps 19,8-12 ; 119,92 ; Ba 4,1-4 ; Si 24,23) la loi n’apparaît pas du tout ici comme une institution provisoire ou accablante, comme dans les textes pauliniens (Rm 3,20 ; 1 Co 15,56 ; Ga 4,21-31).
• v.2b « Murmurer » la loi. Le verbe employé ici décrit le léger mouvement des lèvres qui accompagne la lecture (cf. 1 S 1,13 ; Ac 8,28-30). C’est que, chez les Anciens, comme c’est encore le cas aujourd’hui chez les juifs, la Loi était méditée et étudiée à mi-voix. Cette récitation à voix basse est une méditation (Jos 1,8 ; Dt 6,4-8 ; 11,18-19 ; Ps 63,7 ; 77,13 ; 143,5 ; Si 14,20-21) qui s’oppose au cri de la prière de lamentation dans l’épreuve (Ps 3,5 ; 5,3).
• v.3 Le symbole de l’arbre planté au bord des eaux illustre la vitalité du juste qui est considéré comme verdoyant, stable et solidement enraciné. Si le juste se nourrit de la loi du Seigneur, ni les crises ni la vieillesse ne l’empêchent de porter du fruit (Jr 17,7-8 ; Éz 17,3-24 ; 31,3-9 ; 47,12 ; Jb 8,11-19 ; 15,30-33 ; Ps 52,10 ; 92,13-14). Dans un pays qui manque cruellement d’eau, on comprend la force de la métaphore !
Deuxième partie : la voie de l’impie (v.4-5).
• v.4 Un autre symbole végétal inspiré de la vie rurale. Après le battage, du blé et de la paille mélangés couvraient l’aire. Le vanneur lançait le tout en l’air : le blé, plus lourd, tombait à terre tandis que la paille sèche, beaucoup plus légère, s’envolait au vent. Tels sont les impies : morts et secs, leur inconsistance stérile s’oppose à la stabilité féconde des justes. La Bible parle souvent de la paille emportée par le vent (Jb 13,25 ; 21,18 ; Ps 35,5 ; 83,14 ; Sg 5,14 ; Is 40,24 ; 41,15-16 ; 47,14 ; Jr 13,24 ; Os 13,3 ; So 2,2 ; Mt 3,12).
• v.5 Une négation aide à mieux décrire le sort réservé aux impies : ils ne se lèveront pas au rassemblement des justes. Il s’agit d’abord de l’interdiction d’intervenir dans la délibération à la porte de la ville, ce qui est une honte (Ps 69,13 ; 127,5 ; Pr 22,22 ; 31,23 ; Am 5,12). Il s’agit ensuite du grand jugement qui aura lieu dans l’assemblée des dieux, où les méchants ne seront pas admis, mais jugés (Ps 82,1 ; Is 1,24-27 ; 2,12-22 ; 65,8-25 ; 66,18-23 ; Ml 3,5). Ici l’assemblée des justes remplace l’assemblée des dieux. Par la suite, on a pensé qu’il s’agissait du jugement eschatologique qui aboutit au bonheur éternel des justes et au châtiment des méchants, mais la doctrine eschatologique de l’époque ne supporte pas cette interprétation, du moins dans son sens littéral. Le psaume envisage plutôt l’option fondamentale pour ou contre Dieu selon le point de vue actuel qui souligne le bonheur (v.1) et la prospérité actuelles du juste (v.3). L’ambiguïté du verbe « se lever » a été exploitée par la Septante grecque et surtout la Vulgate latine qui traduit par le verbe « ressusciter ».
• v.6 Le verset final contient une antithèse sur le sort respectif des justes et des méchants. D’un côté, Dieu connaît la voie du juste ; de l’autre, la voie de l’impie est un chemin fermé, sans issue, un cul-de-sac ne menant nulle part. Le Seigneur « connaît » au sens biblique de s’intéresser à, protéger, aimer (Gn 18,19 ; Ps 31,8 ; 37,18 ; 44,22 ; 69,20 ; Jr 1,5 ; Os 13,5 ; Am 3,2). Le chemin des justes conduit à la vie (Ps 16,11 ; 139,24 ; Pr 10,17) tandis que le chemin des méchants se perd, (Ps 2,12 ; 81,13-14 ; 112,10 ; Pr 4,14 ; 10,28 ; 11,18 ; 12,28 ; 14,12 ; Si 21,10 ; Is 59,8).
Enseignement
Un mot unit tout le psaume, c’est « chemin ». Les deux voies sont un thème célèbre dans la Bible (Dt 30,15-20 ; Ps 15 ; 19,8-15 ; 92 ; 112 ; 119 ; Pr 4,18-19 ; 12,28 ; 15,24 ; Si 15,17 ; 33,14 ; Jr 21,8). Un double chemin, irréconciliable et incompatible, s’ouvre devant tout homme : celui de la justice et celui de la méchanceté. Entre les deux, il y a une distance physique, psychologique, sociale, morale et spirituelle. Il y a deux chemins, mais il n’aboutissent pas au même endroit. Le chemin du juste débouche sur le Seigneur, celle du méchant sur le néant ; le premier conduit à l’accomplissement total, à l’amour total, le second conduit à la disparition, à l’effondrement définitif. Dans la pensée du psalmiste, c’est la méditation et l’étude incessantes de la parole de Dieu écrite qui développent la connaissance amoureuse de Dieu. Cela renvoie à l’expérience spirituelle et mystique. Qui veut se donner des racines pour résister aux tempêtes et aux vents contraires soulevés par les forces du mal n’a qu’à entretenir une relation assidue avec la parole du Seigneur. Tel est le chemin de la connaissance et de la vraie vie. Qui met une telle semence dans son cœur et sur ses lèvres jour et nuit n’a pas à craindre le jugement final ; sa vie présente est le gage de son sort éternel. Sa semence, grâce à l’eau qui la pénètre, fait des racines ; il devient indéracinable. La parole de Dieu possède un dynamisme pour aider à se situer, s’ajuster et s’évaluer. On a alors l’assurance que, même si le vent des épreuves et les sécheresses de la vie nous arrachent ou nous jaunissent quelques feuilles, l’ensemble des feuilles reste vert et se renouvelle sans cesse à partir de l’eau, de manière à produire tout son fruit en son temps.
Relecture chrétienne
Il n’y a pas de citations explicites du Ps 1 dans le Nouveau Testament. Toutefois, on retrouve la spiritualité des deux voies (Mt 6,24 ; 7,12-14 ; Lc 16,13), surtout en Jn 14,6 où Jésus se présente lui-même comme le chemin du chrétien. Le traité des deux voies est exprimé dans un petit traité de morale contenu dans la Didachè. C’est surtout le v.3 qui favorisa une interprétation christologique. Dans l’arbre verdoyant planté au bord d’un ruisseau, on a vu, à partir de saint Justin, l’arbre de la croix qui fait participer le croyant à la vie divine. D’ailleurs, les antiennes de la liturgie vont dans le même sens : « L’arbre de vie, c’est ta croix, Seigneur ». La Lettre de Barnabé, les saints Cyprien, Hippolyte, Grégoire de Nysse et Jérôme attribuent un sens ecclésiologique et baptismal aux eaux du v.3. Le v.5 a été appliqué à la résurrection, surtout dans la Septante et la Vulgate Pour rester dans la comparaison de l’arbre, on parle beaucoup dans le Nouveau Testament de « porter du fruit » (Mt 3,8-10 ; 7,16-20 ; 12,33 ; Lc 3,9 ; Jn 15,2-8.16 ; 2 Co 9,10 ; Ga 5,22-23) ou d’avoir des racines (Mc 4,17//).
Dans la liturgie
À l’Office divin, on prie le Ps 1 le dimanche I à l’Office des lectures. On le prie encore aux lundi et dimanche de l’octave Pâques à l’Office des lectures. Traditionnellement, le psaume est aussi utilisé pour les fêtes des saints, qui ont été des justes par excellence. À l’Eucharistie, le Ps 1 fait fonction de psaume responsorial le 6e dimanche du temps ordinaire C, en réponse à Jr 17,5-8 sur l’arbre, alors que l’évangile est Lc 6,17.20-26. En semaine, on le prie le vendredi de la 2e semaine de l’Avent, alors que la première lecture est Is 48,17-19 ; puis le jeudi après les cendres, en réponse à Dt 30,15-20 sur le choix entre le bien et le mal ; enfin le jeudi de la 2e semaine de carême, en réponse encore à Jr 17,5-10.