Ces jours derniers, au cours d’un repas amical, mon voisin rabbin avait hâte de me confier que la synagogue où il officie depuis plus de cinquante ans avait enfin découvert la perle rare qui devait prendre sa relève. « Et bien, ce sera une femme ! », me dit-il avec un petit sourire narquois. Un événement dans sa communauté – libérale – qui affirme ainsi sa singularité au sein du judaïsme genevois..
Cette information suscita de ma part une réplique appropriée. Je venais d’apprendre ce jour même la nomination d’une dame mariée comme représentante de l’évêque à Genève. En fait, elle succédait au vicaire épiscopal qui jusque là ne pouvait être qu’un prêtre célibataire.
Comparaison n’est pas raison, mais les deux « événements » ont ceci de commun qu’ils équivalent à une « révolution » – certains préfèrent le terme « évolution » – au sein de ces deux communautés. Je pencherais plutôt pour « révolution tranquille ». J’emprunte cette expression au Québec des années 60 qui connut de profondes transformation sociales et religieuses, mais « en douceur », sans violences excessives. Il n’est pas nécessaire d’abattre une Bastille ou de faire fonctionner la guillotine pour qu’advienne un monde nouveau. La politique des petits pas atteint son objectif sans trop de dégâts collatéraux.
Bien sûr, c’était de la place des femmes dans nos communautés respectives que nous parlions le rabbin et moi. Je me refusais à balayer devant la porte de sa synagogue, Il me suffisait de le faire devant celle de mon église.
Des historiens font remarquer que les filles d’Eve qui occupent une place de choix dans les évangiles disparaissent de l’avant-scène dès le début du 2ème siècle, avant de subir une éclipse que certains auraient souhaité totale au moment de la réforme grégorienne du 11ème siècle. Les clercs célibataires occupent depuis lors les avant-postes de mon Eglise d’où les femmes sont naturellement exclues. Bien sûr, on leur accorda quelques prix de consolation, comme la compassion pour les pauvres, les malades ou les enfants, tout en surveillant de près les élans mystiques de certaines d’entre elles.
Depuis un demi siècle, le changement se fait « à petits pas ». Nos dames ont leur place dans le chœur puisque elles sont admises à l’acolytat et au lectorat. On tâtonne encore en haut lieu pour qu’elles accèdent au diaconat. Ce qui les habiliterait à prêcher, à conférer le baptême, à bénir les mariages. Au niveau administratif, certaines font déjà office de curé et maintenant de vicaire épiscopal. Et que dire de la cohorte de théologiennes et d’exégètes qui investissent les chaires et les amphithéâtres de nos facultés catholiques ? Sans parler de toutes celles qui sont actives dans nos média chrétiens et dont les ouvrages garnissent les rayons de nos bibliothèques.
Seul demeure à gravir le dernier échelon : l’ordination presbytérale et épiscopale. Un Rubicon redoutable à franchir, d’autant plus que cet exploit ne correspond pas au vœu de toutes les femmes et qu’il suscite beaucoup de réserves et de réticences théologiques et dogmatiques. J’ai la naïveté de penser que ces obstacles pourraient être surmontées au terme d’une recherche objective et d’un dialogue ecclésial dépassionné. La démarche synodale ouvrirait-t-elle cette voie ? J’ai la faiblesse d’y croire, même si je n’en verrai sans doute pas le terme. Pour l’instant, j’assiste à ce processus, comme à la fameuse procession d’Echternach : deux pas en avant, un troisième en arrière.
« Révolution tranquille ». ai-je écrit ? Pour l’illustrer, on pourrait citer – assez librement – ce verset d’évangile : « C’est au prix de votre patience et de votre persévérance que vous sauverez vos âmes ».