L’heure d’été d’Olivier Assayas
Les films d’Olivier Assayas se succèdent et ne se ressemblent pas, ou plutôt ils présentent une véritable alternance entre des œuvres haletantes, survoltées comme Clean (2004) ou Bording Gate (2007), et une veine qui conjoint le calme du cinéma asiatique qu’il aime tant, à celui d’une certaine littérature française. Tel est le cas des Destinées sentimentales (2000), adapté d’un roman de Jacques Chardonne, et de son dernier film, L’heure d’été.
C’est une belle chronique familiale, toute en discrétion, qui fait penser au titre d’une œuvre de Drieu La Rochelle, de 1937 : Rêveuse bourgeoisie. Sauf que la bourgeoisie elle-même change, montrant par là son indéniable don d’adaptation. Le film relate comment un héritage, en l’occurrence une belle maison de famille, raffinée et confortable mais sans ostentation, ne peut être assumé par de nouvelles générations.
Hélène Berthier vit dans le souvenir de son oncle, un peintre réputé dont elle garde certaines œuvres dans la maison familiale, ornée de meubles et d’objets du XIXe siècle. Une scène d’exposition réunit tous les personnages à l’occasion de l’anniversaire d’Hélène. Ses trois enfants sont là avec leur famille.
L’aîné, Frédéric, rassure sa mère sur sa volonté de conserver intacte la maison de leur enfance. Mais elle n’a guère d’illusions car elle sait que sa fille Adrienne a choisi de quitter la France pour les Etats-Unis et que Jérémie, son cadet, jeune cadre dans les affaires, a tourné les yeux vers l’Extrême-Orient.
Après leur départ, dans une scène digne de La cerisaie de Tchekhov, alors qu’Hélène se repose dans la lumière du soir, elle congédie gentiment la cuisinière-gouvernante, qui « fait partie de la famille », un des personnages-clefs de la vie des classes aisées jusqu’aux années ‘70. Elle qui a toujours été là veut apaiser la vieille dame mais nous savons bien quelle est la plus lucide sur l’avenir. La maison n’a-t-elle pas perdu sa raison d’être si la famille est dispersée ?
En effet, après la mort d’Hélène, dans une confrontation très feutrée, attentifs à ne pas se blesser mais quand même résolus à faire prévaloir ce qu’ils estiment être le bon sens économique et leur choix de vie, Adrienne et Jérémie insistent pour vendre la collection de tableaux et bénéficier des réductions des droits de succession obtenus par les donations aux musées nationaux. Frédéric ne lutte guère, même s’il est envahi par l’émotion. La bourgeoisie s’adapte aux circonstances, aux nouveaux modèles de société, et les maisons de famille ne peuvent guère résister aux effets induits de la mondialisation.
Le film prend alors une dimension documentaire avec les experts et les conservateurs, rappelant qu’à l’origine il devait être un court métrage commandé par le Musée d’Orsay. Les beaux meubles rares d’Hélène Berthier y sont finalement exposés.
Assayas montre ainsi comment l’œuvre d’art a changé de statut. Ces objets, qui étaient des dons, insérés dans l’histoire même d’une famille avec ses drames, ses secrets et ses bonheurs, sont devenus anonymes, perdus parmi tant d’autres, estimés et catalogués. Mais le cinéaste le fait sans pathos, sans même peut-être nostalgie. C’est un simple constat de la réalité contemporaine, d’une délicatesse extrême qui fait toute la valeur de son film.
Le bannissement d’Andreï Zviaguintsev
Le premier film d’Andreï Zviaguintsev, Le retour, possédait une telle force, qu’on attendait avec intérêt sa seconde œuvre. Adaptation d’une nouvelle de William Saroyan, Le bannissement est plus long, plus froid, moins bien construit, mais ne laisse pas indifférent. Une maison familiale à la campagne y joue aussi le rôle principal. Enjeu ou plutôt lieu de confrontations, elle sera elle aussi abandonnée.
Accompagné de sa femme Vera et de ses deux enfants, Alexandre a choisi, pour des raisons obscures liées à des trafics divers, de quitter une ville industrielle pour s’installer, provisoirement ou pour plus longtemps, dans la ferme de son père qui est mort. C’est là que, dès le premier soir, Vera lui confie qu’elle attend un enfant qui n’est pas de lui. Nous saurons plus tard qu’il s’agit d’un mensonge ayant pour fonction d’éprouver son amour.
Enfermé dans sa jalousie et dans son humiliation, Alex n’a de cesse d’obtenir que sa femme avorte le plus vite possible dans une clandestinité couverte par son mauvais génie, mafieux et gangster. Vera se laisse persuader mais c’est pour mourir elle-même. L’homme est submergé de regret, mais il est trop tard.
Soutenu par la musique d’Arvo Pärt, le film a une véritable puissance, cependant certains choix du réalisateur russe lui enlèvent de sa crédibilité. Ayant voulu donner à son film une intemporalité, il a gommé toutes les références géographiques ou chronologiques. En fait, il a tourné dans de très beaux paysages de Moldavie et ses acteurs parlent russe. Une insertion plus réaliste aurait évité cette abstraction qui gêne. Il en va de même du retour en arrière explicatif constituant la dernière scène : elle déséquilibre puisqu’on passe du point de vue d’Alex, qui domine le film, à celui de Vera.
Il n’empêche que, par la métaphore immobile (si on peut dire) de la maison plantée entre les collines, bientôt définitivement abandonnée, Zviaguintsev sait faire pressentir, par une situation extrême, que la famille, cette habitation spirituelle, ne saurait vivre sans le pardon demandé, suggéré et reçu.
Guy-Th. Bedouelle o.p., Angers (France)
Recteur de l’Université catholique de l’Ouest