Lallâ, ou Lalleshvarî, une grande poétesse qui a vécu entre 1350 et 1400, est la dernière des représentantes du shivaïsme cachemirien; elle est contemporaine du soufi Sayyid ‘Ali Hamadani, qui convertit le Cachemire à l’islam dans les années 1380. Elle témoigne de la rencontre entre des types d’expériences spirituelles analogues, malgré les conflits religieux, et de l’évolution de l’hindouïsme du Nord vers une forme de monothéisme. Lallâ est connue pour sa vie errante, transgressant toutes les conventions sociales, proclamant la vanité des pratiques rituelles, et pour son lyrisme extatique, qui s’exprime dans de courts poèmes, les shloka ou «Dits de Lallâ».
16
À réciter, à réciter encore, je me suis fatigué la langue et le palais,
Pourtant jusques à Toi jamais mes pratiques ne se sont élevées,
À égrener le rosaire, je me suis usé le pouce et l’index,
Pourtant la dualité n’a point encore quitté ma pensée.
37
Toi seul, Tu es le ciel, Toi seul, Tu es la terre.
Toi seul, Tu es le jour, l’air et la nuit.
L’offrande de grains, l’onction de santal, les fleurs et l’eau lustrale, c’est Toi.
Tu es tout, ô Toi seul, que puis-je alors T’offrir?
95
Toi seul, ô Dieu, imprègnes les formes, le monde tout entier.
Toi seul, ô Dieu, donnes aux corps le souffle de vie.
Toi seul, ô Dieu, résonnes en silence,
Qui donc, ô Dieu, connaîtrait Ta mesure?
132
En Toi-même absorbé, Tu me restais caché.
Je passais tout le jour à chercher Toi et moi.
Lorsqu’en moi je Te vis, ô Toi,
À Toi et à moi j’accordai un ravissement sans limites.
134
Seigneur! Je ne connaissais ni le Soi ni le Suprême,
Et toujours je me préoccupais de ce corps.
Que Tu es moi, que je suis Toi, pareille union point ne la connaissais.
Se demander «Qui suis-je?» ou «Qui es-tu?» est un doute.
Lallâ, Shloka 16, 37, 95, 132, 134, dans Les dits de Lallâ et la quête mystique,
présentation et trad. Fr. M. Bruno,
Paris, Éditions Les Deux Océans, 1999, p. 42, 50, 75, 92.