L’eucharistie est le sujet de l’heure parmi les catholiques, du moins parmi les autorités de l’Église et les théologiens. Un événement a lancé la réflexion: le prochain Congrès eucharistique qui se déroulera à Québec à la mi-juin. Des catéchèses, des cours, des discussions, des soirées de prières, des homélies, des publications: le sujet est abordé de mille et une façons.
Nous ne sommes pas la première génération à s’intéresser à la question. Depuis son institution par Jésus lui-même, l’eucharistie est discutée tout autant qu’elle est célébrée. Elle est devenue ce que le concile Vatican II appelle la source et le sommet de la vie chrétienne. La foi se nourrit de cette source. Elle atteint son sommet dans la célébration eucharistique. Depuis 2000 ans, il s’est écrit des milliers de pages sur le sujet. Parmi elles, on rencontre des chefs-d’oeuvre. On y trouve aussi des propos médiocres comme si tout pouvait être dit à ce propos.
Chose étonnante: la Bible se montre très sobre sur l’Eucharistie. Il y a, bien sûr, Matthieu, Marc et Luc qui offrent un récit de l’institution de l’Eucharistie le soir du jeudi saint. Dans la première lettre aux Corinthiens, Paul rejoint les trois autres en quelques lignes. Le texte de Paul pourrait remonter à l’année 55 et serait le plus vieux récit que nous possédons sur le sujet. Jean rassemble ses données sur l’Eucharistie dans un chapitre qu’on a l’habitude d’appeler le «discours sur le pain de vie» (chapitre 6). À part cela, c’est quasiment le silence profond. La Bible, ce gros bouquin, ne consacre que quelques pages sur l’Eucharistie. Et la question est abordée avec énormément de sobriété.
Fait curieux: les auteurs parlent de l’Eucharistie dans un contexte de polémique. Chez Matthieu, chez Marc tout comme chez Luc, on retrouve dans le même récit l’annonce de la trahison de Judas et celle du reniement de Pierre. Le quatrième évangile prend la peine de parler de la trahison de Judas à la fin de son chapitre 6. Quant à Paul, il traite de l’Eucharistie en engueulant les Corinthiens dont les rassemblements ne sont pas très fidèles à l’intention du Seigneur.
Qu’est-ce qui leur a pris à ces auteurs bibliques? Pourquoi situent-ils l’Eucharistie dans un décor aussi sombre? N’étant pas exégète chevronné, je n’arrive pas à comprendre leurs intentions. J’y vois cependant une invitation à la prudence quand j’aborde moi-même le sujet. Nous sommes en face d’un mystère immense, complexe. L’événement est accompli, mais nous n’en mesurons pas toute la portée. Il ne finit pas de nous rejoindre. Et par conséquent, nous risquons de le trahir. Jésus a bien dit: «J’aurais encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les supporter maintenant.» (Jean 16, 12)
«Si, un jour, une communauté chrétienne pouvait réaliser parfaitement le don qui lui est fait, l’histoire s’arrêterait. L’histoire continue parce qu’il reste un écart entre le don eucharistique et la réception que nous en faisons. Nous répétons la réception du don eucharistique aussi longtemps que nous ne pouvons pas le recevoir pleinement.» (MARION, Jean-Luc, «Réaliser la présence réelle », dans La Maison-Dieu, no 225, 2001, p. 22)
Dans notre réflexion, nous devons garder en tête que le mystère de l’Eucharistie est immense et que nous ne pouvons le saisir complètement. Il restera toujours un écart à franchir, un bout de chemin à faire. Entre temps, nous risquons de trahir le mystère comme Judas ou de le renier comme Pierre. Donc, attention! Attention surtout à l’écart entre ce que nous aimerions que l’Eucharistie soit et ce que le Seigneur a voulu lui-même. Attention à la différence entre notre besoin de dévotion et l’intention du Christ.