1. A mi-voix.
De David.
Garde-moi, ô Dieu, mon refuge est en toi.
2. J’ai dit à Yahvé : C’est toi mon Seigneur,
mon bonheur n’est en aucun [3a] de ces démons de la terre.
3b. Ceux-là en imposent à tous ceux qui les aiment,
4a. leurs idoles foisonnent, on court à leur suite.
4b. Verser leurs libations de sang? Jamais!
Faire monter leurs noms sur mes lèvres? Jamais!
5. Yahvé, ma part d’héritage et ma coupe,
c’est toi qui garantis mon lot;
6. le cordeau me marque un enclos de délices,
et l’héritage est pour moi magnifique.
7. Je bénis Yahvé qui s’est fait mon conseil,
et même la nuit, mon cœur m’instruit.
8. J’ai mis Yahvé devant moi sans relâche;
puisqu’il est à ma droite, je ne bronche pas.
9. Aussi, mon cœur exulte, mes entrailles jubilent,
et ma chair reposera en sûreté;
10. car tu ne peux abandonner mon âme au shéol,
tu ne peux laisser ton ami voir la fosse.
11. Tu m’apprendras le chemin de vie,
devant ta face, plénitude de joie,
en ta droite, délices éternelles.
[ © Cerf 1997]
Nous voyons ici une prière en forme de confidence du psalmiste qui remet sa confiance en Dieu seul, pour marcher avec Lui. En parlant à Dieu, il dit son espérance de vivre avec Lui. Ce psaume s’inscrit dans la recherche existentielle du salut de l’être humain, qui a fait une conversion radicale vers Dieu.
Le texte
L’état de conservation de ce poème rend son interprétation conjecturale, car il présente plusieurs difficultés de lecture de la dixième lettre de l’alphabet, le yôd, surtout dans les versets 2 à 4. Mais en le considérant en son ensemble, le texte se présente comme cohérent. Une structure assez claire se dégage : après l’introduction, deux parties se remarquent (v.2-6 et 7-10) et chaque partie forme comme un dyptique. La conclusion (au v.11) récapitule les thèmes de ces deux parties : le bonheur en Dieu et l’orientation pour y parvenir. Par le vocabulaire utilisé, le texte pourrait bien remonter à David ou au temps du prophète Jérémie.
Le psaume se décline en utilisant en introduction le nom divin « ‘ÉL » de la divinité suprême des cananéens, avant d’opter pour le nom divin « YHWH » – que la Bible de Jérusalem transcrit Yahvé – dans le reste du psaume (v. 2a.5.7a.8). Il s’adresse à Dieu selon l’appellation consacrée par Moïse (Ex 3,15) pour signifier l’unique sauveur.
Par l’utilisation des pronoms « toi » (v.2a.5) et « moi » s’exprime nettement la confiance individuelle du psalmiste, tout au long de la supplication.
Au v.1, le psaume est attribué à David, comme souvent dans cette première collection des psaumes 1 à 41. Le rédacteur peut signifier ainsi que cette prière remonte à une composition ancienne.
Dans le premier dyptique (v.2-6), l’idée du psalmiste est de rappeler qu’il rejette radicalement les idoles et choisit Dieu plutôt que tout autre culte.
Le v.3 évoque des divinités païennes, opposées à Yahvé, parmi lesquelles ‘Baal et Astarté’.
Les « idoles » (3b) sont ici des images au sens de pierres levées de sanctuaires païens ou bien des travaux lourds – ‘assebôt’ – qu’ « imposent » ces desservants.
Le verset 4a laisse percevoir l’ironie du psalmiste : les païens auraient à se dépêcher, tant les idoles à servir sont nombreuses … Le psalmiste s’en garde bien (v. 4b): il ne fera (plus) « jamais » de sacrifices sanglants ni ne versera du vin au-dessus de ces « idoles ».
Au v.5 : « ma coupe » rappelle la générosité du père qui avait pour fonction de remplir celle des convives autour de la table. L’expression « toi qui garantit mon lot » exprime positivement « toi qui tiens en main ma destinée ».
Au v.6 : « Le cordeau » est le cordon qui servait à délimiter les morceaux de terrains ; il est en lien avec la ‘propriété’ de Dieu (cf. Mi 2,5). Ailleurs, le cordeau a pu servir à tirer au sort comme pour le choix de l’apôtre Matthias (en Ac 1,26).
Au v.7 : La bénédiction oriente l’action de grâce à partir de l’actualité du psalmiste vers le futur ; « la nuit » se rapporte aux veilles durant la nuit.
En notant « devant moi » et « à ma droite », le v. 8 fait voir le symbolisme spatial de l’intimité, du regard mutuel et de l’amitié. S’étant réfugié auprès de Dieu – dès le premier verset – le priant est sûr de ne pas « broncher », donc de ne pas tomber, c’est-à-dire de pouvoir vivre.
Le v. 9 prend en considération les organes humains : « le cœur, les entrailles, la chair » c’est-à-dire l’ensemble du symbolisme somatique :
Au v.10 : « shéol » : est un mot assez vague de l’anthropologie hébraïque, qui désigne le séjour des âmes sans leur corps, le séjour des morts (cf. Ps 6,5). Au shéol de la langue hébraïque correspond l’ « Hadès » en langue grecque, qui se réfère aux lieux souterrains (cf. Ac 2,24.31). Et « ton ami » traduit le sens de « ton fidèle », « ton saint » ou « ton pieux ».
La conclusion montre l’évolution du priant : partant d’une recherche de refuge, il aboutit à l’affirmation assurée du désir de voir Dieu. C’est ainsi qu’au v.11, « ta face », exprime le bonheur d’être en présence de Dieu Il s’agit de voir quelle est la destinée humaine, partant de son passé et allant vers l’avenir. Le psalmiste ayant placé avec humilité sa confiance initiale en Dieu, avec Dieu (v.1-2), il laisse entendre son aspiration à prolonger cette fidèle amitié, cette présence proche, cette joie comblante.
Une relecture christologique des versets 8-11:
Pour l’Ancien Testament, le plus grand bonheur des hébreux est celui de prendre part aux célébrations du Temple et d’échapper à une mort qui se fait menaçante (v.10).
Or, depuis Pâques, les apôtres ont découvert que Jésus, leur maître, a justement triomphé de la mort et ils se mettent à proclamer cette bonne nouvelle avec la force spirituelle reçue cinquante jours après, à la Pentecôte de Jérusalem. C’est pourquoi il est intéressant de remarquer que les quatre derniers versets du psaume 16 sont cités dans le Nouveau Testament, selon la tradition en langue grecque des Septante.
Nous retrouvons dans le livre des Actes des apôtres les v. 8-11 de notre psaume, d’après les LXX. L’évangéliste Luc montre que Pierre prêche à la foule en ce jour de la première Pentecôte chrétienne (Ac 2,25-28) et qu’il applique le psaume au Christ Jésus. La joie plénière notée au verset 11 devient précisément celle du Christ ressuscité et glorifié auprès de Dieu. Et, pour les disciples, après la tristesse de la Passion est venue la joie de voir le Seigneur vivant (Jn 20,20), ce que Jésus avait en effet annoncé (Jn 16,20). Jésus promet que cette joie deviendra complète, totale, plénière pour ses disciples (Jn 16,24) quand sera advenu le royaume messianique.
Après Pierre, c’est au tour de l’apôtre Paul de citer le verset 10 du psaume dans sa prédication aux « enfants de la race d’Abraham et aux craignant Dieu » (Ac 13,35). Puisqu’il n’a pas connu la corruption de la fosse, Jésus, mort et ressuscité, est le Sauveur : il est bien le Messie attendu (cf. Ac 13,26-37). Jésus n’avait-il pas prouvé devant Marthe que « qui croit en Moi, fut-il mort, vivra » (Jn 11,25) et appelé à vivre la béatitude des « cœurs purs car ils verront Dieu » (Mt 5,8, accomplissant ainsi Ps 11,7 ; 24,3-4)? Voilà le bien essentiel, cher aux mystiques.
Dans la liturgie
L’église catholique fait un usage fréquent du psaume 16, car elle le propose au moment des vêpres du samedi de la première semaine de la Liturgie des heures, ainsi qu’à la prière des complies de chaque jeudi. Il ouvre l’esprit à la joie de fêter Jésus ressuscité le Dimanche et nous fait entrer avec confiance dans la nuit, en rappelant le ‘testament’ de Jésus au repas du Jeudi saint. C’est un beau poème qui nous met en route sur le chemin de la vie avec Jésus-Christ, afin que nous trouvions en Lui véritablement une perspective d’avenir, notre bonheur et, en Sa présence, la joie éternelle, comme le propose la liturgie de la Parole de la Veillée pascale, celle du 3e Dimanche de Pâques de l’année A, du 33e Dimanche de l’année B et du 13e Dimanche de l’année C.
fr. Christian Eeckhout, o.p.
École biblique de Jérusalem