Extraits des interrogatoire de Mgr Cauchon et de Jeanne d’Arc lors du procès qui s’étendit du 21 février au 23 mai 1431. Jeanne d’Arc fut brûlée le 30 mai 1431 à Rouen. Réhabilitée, elle est béatifiée le 18 avril 1909 et canonisée le 16 mai 1920. Sa fête religieuse est fixée au 30 mai, jour anniversaire de son martyre. Pie XI la proclame sainte patronne secondaire de la France en 1922.
Au nom du Seigneur, ainsi soit-il.
Ici commence le procès en matière de foi contre défunte femme Jeanne, appelée vulgairement la Pucelle.
A tous ceux qui les présentes lettres verront, Pierre Cauchon, par la miséricorde divine évêque de Beauvais, et frère Jean Lemaître, de l’Ordre des frères prêcheurs, commis, dans le diocèse de Rouen, et chargé spécialement, eu qualité de vice-inquisiteur, de suppléer dans ce procès religieuse et prudente personne maître Jean Graverent, dudit Ordre, docteur distingué en théologie, inquisiteur de la foi et de la plaie hérétique, député, par délégation apostolique, au royaume de France; salut en Notre-Seigneur Jésus-Christ auteur et consommateur de la foi.
Il a plu à la céleste Providence qu’une femme nommée Jeanne et vulgairement la Pucelle ait été prise et appréhendée par les gens de guerre dans les bornes et limites de nos diocèse et juridiction.
Or, c’était un bruit public que cette femme, au mépris. de la pudeur et de toute vergogne et respect de son sexe, portait, avec une impudence inouïe et monstrueuse, des habits difformes convenant au sexe masculin.
On disait encore que sa témérité l’avait conduite à faire, dire et semer beaucoup de choses contraires à la foi catholique et aux articles de la croyance orthodoxe. Ce faisant, elle s’était rendue gravement coupable tant dans notre diocèse que dans plusieurs autres lieux du royaume.
Mgr CAUCHON: Votre nom?
JEANNE: Dans mon pays on m’appelait Jeannette. En France, on m’appelle Jeanne depuis que j’y suis venue.
CAUCHON: Votre surnom?
JEANNE: Du surnom je ne sais mie.
CAUCHON: Votre lieu de naissance?
JEANNE: Je suis née au village de Domrémy, qui est tout un avec Grus; c’est à Grus qu’est la principale église.
CAUCHON: Les noms de vos père et mère?
JEANNE: Mon père s’appelle Jacques d’Arc, et ma mère Isabelle.
CAUCHON: Où avez-vous été baptisée?
JEANNE: A Domrémy.
CAUCHON: Quels ont été vos parrains et marraines?
JEANNE: Le nom de l’un de mes parrains est Jean Lingué; un autre : Jean Barrey. L’une de mes marraines s’appelle Agnès ; une autre Sibylle. J’en ai encore eu d’autres, ainsi que j’ai entendu dire à ma mère.
CAUCHON: Quel prêtre vous a baptisée?
JEANNE: Messire Jean Minet, à. ce que je crois.
CAUCHON: Vit-il encore?
JEANNE: Oui, j’imagine.
CAUCHON: Votre âge?
JEANNE: Dix-neuf ans, je pense, environ.
[CAUCHON: Que vous a-t-on appris?]
JEANNE: Ma mère m’a appris Pater noster, Ave Maria, Credo. Je n’ai appris ma créance d’aucun autre que de ma mère.
[L’INTERROGATEUR: Quand avez-vous commencé à entendre des voix ? ]
JEANNE: J’avais treize ans quand j’eus une voix de Dieu pour m’aider à me bien conduire. La première fois j’eus grand’peur. Cette voix vint sur l’heure de midi. pendant l’été, dans le jardin de mon père.
[L’INTERROGATEUR: Étiez-vous à jeun ?]
JEANNE: J’étais à jeun.
[L’INTERROGATEUR : Aviez-vous jeûné la veille ?]
JEANNE: Je n’avais pas jeûné la veille 2 ?
[L’INTERROGATEUR : De quel côté entendîtes-vous la voix ?]
JEANNE: J’ai entendu cette voix à droite, du côté de l’église, et rarement elle est venue à moi sans être accompagnée d’une grande clarté. Cette clarté vient du même côté que la voix, et il y a ordinairement une grande clarté. Quand je vins en France, j’entendais souvent la voix 1.
L’INTERROGATEUR: Comment voyiez-vous cette clarté, puisqu’elle se produisait de côté ?
JEANNE ne répond rien et passe à autre chose. Puis elle dit: Si j’étais dans un bois, j’entendrais bien ces voix venir.
L’INTERROGATEUR : Comment était la voix ?
JEANNE: Il me semble que c’était une bien noble voix, et je crois qu’elle m’était envoyée de la part de Dieu. A la troisième fois que je l’entendis, je reconnus que c’était la voix d’un ange. Elle m’a toujours bien gardée.
L’INTERROGATEUR: Pouviez-vous la comprendre ?
JEANNE: Je l’ai toujours bien comprise.
L’INTERROGATEUR : Quel enseignement vous donnait la voix pour le salut de votre âme ?
JEANNE: Elle m’enseignait à me bien conduire et à fréquenter les églises. Elle m’a dit qu’il était nécessaire que je vinsse en France.
L’INTERROGATEUR : De quelle sorte était cette voix ?
JEANNE: Vous n’en aurez pas davantage aujourd’hui sur cela.
[L’INTERROGATEUR: La voix parlait-elle souvent ?]
JEANNE: Deux ou trois fois par semaine elle m’exhortait à partir pour la France.
[L’INTERROGATEUR: Votre père savait-il votre départ?]
JEANNE :Mon père ne sut rien de mon départ. La voix me pressait toujours et je ne pouvais plus durer où j’étais.
[L’INTERROGATEUR: Que vous disait la voix?]
JEANNE: Elle me disait que je ferais lever le siège d’Orléans.
[L’INTERROGATEUR: Que disait-elle encore?]
JEANNE.: Elle me disait d’aller trouver Robert de Baudricourt, capitaine, et qu’il me donnerait des gens pour cheminer avec moi; car j’étais pauvre fille, ne sachant ni chevaucher, ni mener guerre.
[L’INTERROGATEUR: Continuez.]
JEANNE: J’allai chez mon oncle et lui dis que je voulais demeurer chez lui pendant quelque peu de temps, et j’y demeurai à peu près huit jours. Pour lors je dis à mon oncle qu’il me fallait aller à Vaucouleurs, et mon oncle m’y conduisit. Quand je fus à Vaucouleurs, je reconnus le capitaine 1, quoique je ne l’eusse onques vu auparavant; ce fut par le moyen de ma voix qui me dit que c’était lui. Je dis alors au capitaine qu’il fallait que je vinsse en France. Deux fois il me repoussa et rejeta; mais la troisième fois il me reçut et me donna des hommes, Aussi bien la voix m’avait dit que cela serait ainsi,
L’INTERROGATEUR: La voix à laquelle vous demandez conseil a-t-elle un visage et des yeux?
JEANNE : Vous n’aurez pas encore cela de moi. C’est un dicton des petits enfants que l’es gens sont pendus quelquefois pour avoir dit la vérité.
L’INTERROGATEUR : Savez-vous être en la grâce de Dieu?
JEANNE : Si je n’y suis, Dieu m’y mette; et, si j’y suis, Dieu m’y tienne ! Je serais la plus dolente du monde si je savais ne pas être en la grâce de Dieu. Mais si j’étais en état de péché, je crois que la voix né viendrait pas à moi. Je voudrais que chacun l’entendît aussi bien que je l’entends.
L’INTERROGATEUR : Quand l’avez-vous d’abord entendue?
JEANNE : Je tiens que j’avais treize ans ou à peu près quand la voix vint à moi pour la première fois.
L’INTERROGATEUR Est-ce la voix d’un ange qui vous parlait? ou bien celle d’un saint ou d’une sainte, ou la voix de Dieu directement?
JEANNE: C’est la voix de sainte Catherine et de sainte Marguerite. Là-dessus, j’ai congé de Notre-Seigneur. Que si vous en doutez, envoyez à Poitiers où j’ai autrefois été interrogée.
L’INTERROGATEUR: Comment savez-vous que ce sont ces deux saintes? Les distinguez-vous bien l’une de l’autre?
JEANNE: Je sais bien que ce sont elles. Je les distingue bien l’une de l’autre.
L’INTERROGATEUR : Comment cela?
JEANNE : Par le salut qu’elles me font.
L’INTERROGATEUR: Y a-t-il longtemps qu’elles communiquent avec vous?
JEANNE : Il y a bien sept ans passés qu’elles m’ont prise sous leur garde.
L’INTERROGATEUR : A quoi les reconnaissez-vous?
JEANNE: Elles se nomment à moi.
L’INTERROGATEUR : Ces saintes sont-elles vêtues de même étoffe?
JEANNE: Je ne vous en dirai pas davantage à cette heure. Je n’ai pas congé de le révéler. Si vous ne me croyez, allez à Poitiers.
L’INTERROGATEUR : Ne nous cachez rien.
JEANNE: Ces choses sont au roi de France, non àvous.
L’INTERROGATEUR: Ces saintes sont-elles du,même âge?
JEANNE: Je n’ai pas congé de vous le dire.
L’INTERROGATEUR: Ces saintes parlent-elles à la fois ou l’une après l’autre?
JEANNE: Je n’ai point congé de vous le dire. Cependant j’ai toujours eu conseil de toutes les deux.
L’INTERROGATEUR: Laquelle des deux vous est apparue la première?
JEANNE: Je ne les ai point connues tout de suite. Je l’ai bien su jadis, mais je l’ai oublié. Si j’en ai congé, je vous le dirai volontiers. C’est d’ailleurs marqué au registre de Poitiers.
[L’INTERROGATEUR: N’y a-t-il que les saintes qui vous aient apparu?]
JEANNE: J’ai reçu aussi confort de saint Michel.
L’INTERROGATEUR: Laquelle des apparitions vous est venue la première?
JEANNE: C’est saint Michel.
L’INTERROGATEUR : Y a-t-il longtemps que vous avez eu la voix de saint Miche!?
JEANNE: Je ne vous nomme pas la voix de saint Michel; mais je vous parle du grand confort venu de lui.
L’INTERROGATEUR: Quelle fut la première voix qui vint à vous quand vous aviez treize ans ou environ?
JEANNE: Ce fut saint Michel. Je le vis devant mes yeux et il n’était pas seul, mais bien accompagné d’anges du ciel.
[L’INTERROGATEUR: Est-ce de vous-même que vous vîntes en France?]
JEANNE: Je ne vins en France que par l’ordre de Dieu.
L’INTERROGATEUR: Vîtes-vous saint Michel et les anges en corps et en réalité?
JEANNE: Je les vis des yeux de mon corps aussi bien que je vous vois. Quand ils s’en furent, je pleurai, et j’aurais bien voulu qu’ils m’emportassent avec eux.
Déposition de Guillaume Manchon, greffier.
Le mercredi, au point du jour, avant la sentence et le départ du château, Jeanne communia suivant sa demande. Pouvait-on donner la communion à une personne ainsi déclarée excommuniée et hérétique? Ne fallait-il pas absolution en forme de l’Eglise? Les juges et conseillers mirent ce point en délibération et décidèrent de lui accorder, sur sa requête, le sacrement de l’Eucharistie, avec l’absolution.
Jeanne fut menée à son supplice avec une grande troupe d’hommes d’armes, au nombre d’environ quatre-vingts, partant épées et bâtons. Je la vis amener à l’échafaud. Sur la place étaient rangés sept à huit cents hommes de guerre. Ils entouraient Jeanne, si bien que personne n’eût été assez hardi pour lui parler, excepté frère Martin Ladvenu et maître Jean Massieu.
Jeanne ouït patiemment le sermon tout au long. Après, elle fit ses prières et lamentations, bien notablement et dévotement, de telle sorte que les juges, les prélats et tous les autres assistants furent provoqués à grands pleurs et larmes en la voyant exprimer ses pitoyables regrets et faire ses douloureuses complaintes. La sentence de l’Eglise venait d’être prononcée et Jeanne savait qu’elle allait mourir. Elle fit ses plus belles oraisons, recommandant son âme à Dieu, à la sainte Vierge et à tous les saints, les invoquant et demandant pardon et à ses juges et aux Anglais et au roi de France et à tous les princes du royaume. Je me retirai et ne vis pas le reste. Jamais je ne pleurai tant pour chose qui m’advint. Encore un mois après je ne m’en pouvais bonnement apaiser. C’est pourquoi de l’argent que j’avais eu du procès en rémunération de mes peines et labeurs, j’achetai un petit missel, que j’ai encore, comme souvenir de Jeanne et afin d’avoir occasion de prier pour elle.
J’ai ouï dire qu’à la suite de la sentence du juge d’Eglise qui la livrait au bras séculier, Jeanne fut conduite au bailli là présent, et que celui-ci sans autre délibération ou sentence, faisant signe de la main, dit « Menez ! Menez! » Et Jeanne fut menée au bûcher.
J’ai ouï dire encore par les témoins que Jeanne, à sa fin, avait invoqué le nom de Jésus. Elle ne voulut jamais révoquer ses révélations et y persista jusqu’à la dernière heure. De l’avis de tous, sa mort fut bien chrétienne. Pour moi, oncques ne vis aucun chrétien, plus grand signe de pénitence finale.