Assommée par un tourbillon de paroles, je suis à côté de Louise qui n’en finit plus de parler. Nous attendons toutes deux la fin de l’activité sportive de nos enfants, je dois donc restée sur place à l’écouter déverser ses soucis. Elle se plaint de ses enfants, de son mari. Celui-ce ne veut plus l’écouter, déplore-t-elle. Et elle poursuit sans se soucier de la personne à qui elle parle : elle occupe tout le terrain! Mon fils de onze ans arrive enfin. Comme je suis heureuse de le voir! Amusé de ma réaction, il me dit : « Tu avais l’air distraite, mais dès que tu as posé tes yeux sur moi tu es devenue toute attentive à ce que je te disais. »
Depuis quelques décennies on parle de la parole qui libère. On a cru trop longtemps qu’il fallait tout simplement s’exprimer pour régler nos problèmes. Surtout, ne pas retenir nos petits tracas, mais les extérioriser afin de ne pas accumuler de l’angoisse. Malheureusement, nous avons parfois affaire à des surdoués de l’expression de soi. Ils maîtrisent bien la capacité à libérer le verbe. Mais au demeurant, se libère-t-il vraiment eux-mêmes? L’expérience nous montre plutôt des personnes s’étranglant eux-mêmes avec leurs mots tel un serpent leur serrant la gorge. À force de parler de leurs soucis, ils s’emprisonnent à l’intérieur d’eux, et ne pensent plus qu’à cela, incapables parfois de gérer leur quotidien tant ils sont obnubilés par leurs pensées qui sont entretenues par la parole.
On parle aussi, et avec raison de l’importance de la communication dans le couple. Louise y a cru et a fortement alimenté la relation à ce niveau! Comment la blâmer puisque partout on prône la communication conjugale. Mais s’agit-il vraiment de prendre l’autre pour un déversoir de toutes nos petites et grandes angoisses et de manière incessante? Une bonne communication veut-il dire communiquer sans arrêt?
Un couple est composé de deux personnes qui s’aiment et qui par le fait même se respectent. Comment bien communiquer à l’intérieur de cet amour que l’on bâtit ensemble? Au tout début de notre mariage, pour bien régler nos problèmes internes ou externes, il nous est arrivé de parler, relater, radoter, rabâcher des soirées entières sur nos soucis. Comme si à force de dire, nommer, nous trouverions la solution au bout des mots échangés. En procédant ainsi, nous nous sommes rendus compte que nous perdions notre soirée et parfois une partie de la journée à venir. Nous n’étions plus attentifs au présent, aux tâches qui demandent notre attention, mais seulement à nos soucis.
Puis l’expérience nous a amené à découvrir un secret dans l’art de communiquer. Qu’il est doux de retrouver l’oreille d’un compagnon si proche avec qui nous pouvons échanger sur tout et qui nous accueille toujours avec bienveillance et amour. Il est important de communiquer ce qui nous tracasse afin que l’autre sache ce qui ne va pas. Nous avons établi naturellement ensemble une façon de faire afin de ne pas s’assommer mutuellement de mots. On prend un temps pour exprimer le problème. On le dit en une fois, en n’oubliant rien. Mais quand tout est dit, on sait que l’on ne règlera pas ce souci dans la minute qui suit. On conclut ensemble par une prière et on « s’oblige » à passer à autre chose. La solution viendra dans le temps. Et chaque soir, plutôt que de parler de cela, on prie là-dessus. La solution vient toujours.
Quel gain de temps! Quelle libération que la maîtrise des mots! Savoir exprimer juste ce qu’il faut, mais savoir aussi retenir les mots en soi, une fois qu’ils ont été partagés, une véritable délivrance! Malgré ce qui nous préoccupe, la vie continue et nous arrivons à la suivre. Le dialogue de couple demeure ainsi ce lieu privilégié d’échange, et non pas cet endroit que l’on a envie de fuir. La parole a aussi besoin d’intériorité, de silence pour agir.