Les textes bibliques de la liturgie du premier dimanche de l’Avent ont inspiré le billet de cette semaine.
Nous sommes des êtres pétris de paradoxes. Il nous arrive souvent de faire des raisonnements objectifs et réalistes tout en faisant large place dans notre vie au rêve et à l’utopie. Des grands savants doivent leurs découvertes ou leurs inventions à la puissance de leur imaginaire. Nous avons des rêves qui ne sont que de pures distractions, un moyen de fuir la réalité. Par contre, nous vivons d’autres rêves, fruits d’une certaine perspicacité. À force de contempler et d’observer l’actualité, nous lui reconnaissons la capacité de produire des changements, et des changements heureux.
Comme croyants, nous avons des rêves bien particuliers, des rêves en forme d’espérance. Qu’est-ce qu’un rêve en forme d’espérance? Il faut poser la question aux prophètes. Les prophètes croient – et c’est pour eux une conviction profonde – que le monde dans lequel nous vivons n’est pas fermé sur lui-même. Ce monde est ouvert. Il a un avenir. Il a d’autant plus d’avenir qu’il est une création de Dieu. Il en porte toutes les fécondités. Et comme rien n’est impossible à Dieu, nous pouvons rêver l’impossible.
Nous pourrions classer parmi les fantaisies les propos du prophète Isaïe si nous ne savions pas qu’il vit dans une période de grande tension internationale et d’affrontements entre les pays. La justice sociale est bafouée. Les pauvres sont exploités. Les chefs religieux sont ambitieux. Et l’avenir du peuple d’Israël est particulièrement sombre et menaçant.
Dans ce contexte troublant, Isaïe parle d’avenir: «Il arrivera dans l’avenir que la montagne du temple du Seigneur sera placée à la tête des montagnes et dominera les collines… Venez, montons à la montagne du Seigneur… Il nous enseignera ses chemins et nous suivrons ses sentiers.» (2, 2-3)
Voilà un rêve en forme d’espérance. Dieu enseignera ses chemins. On apprendra à transformer les épées en socs de charrues. On fauchera le foin avec des faucilles fabriquées à même des lances. Au lieu de la guerre, l’agriculture. Au lieu des conflits, la vie harmonieuse et pacifique. Voilà les chemins que Dieu enseigne.
Saint Paul croit que Dieu les enseigne déjà ses chemins d’avenir: «C’est le moment… Le salut est plus près de nous maintenant qu’à l’époque où nous sommes devenus croyants.» (Romains 13, 11) Et Paul d’ajouter: «L’heure est venue de sortir de votre sommeil.» Autrement dit: vivez les yeux ouverts, observez les pousses qui annoncent le printemps; ne vous laissez pas endormir dans le ronron quotidien comme la nature s’ankylose en hiver.
Saint Paul reprend tout simplement la consigne de Jésus: «Veillez donc… Tenez-vous donc prêts, vous aussi: c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra.» (Matthieu 24, 42-43) Jésus donne des exemples d’insouciance: les contemporains de Noé vivaient leur quotidien tout bonnement. Ils ne préparaient pas l’avenir comme Noé. Le présent les a engloutis. Deux hommes sont au champ. Ils accomplissent un travail semblable. Mais l’un des deux prépare l’avenir, l’autre pas. Deux femmes travaillent au moulin. Ils font les mêmes gestes. Mais l’une des deux prépare l’avenir, l’autre pas.
Que devenons-nous devenir aujourd’hui pour rêver en forme d’espérance, à la manière d’Isaïe? Comment veiller comme nous y invite Jésus? Nous traversons des temps de doutes. Nous avons la confiance difficile, pénible même: difficile confiance dans nos institutions, difficile confiance dans nos chefs politiques ou religieux, difficile confiance dans nos familles, difficile confiance dans nos projets, difficile confiance en nous-mêmes, difficile confiance en Dieu. Notre salut se trouve précisément dans notre quête constante du sens et de la vérité de Dieu, de nous-mêmes, sur le sens et la vérité du monde que nous habitons.