Le cinéma est un art qui se plaît à déstabiliser ses adeptes. Deux films récents en font la démonstration. Imposture dans le brillant film MARGUERITE : le réalisateur français Xavier Giannoli y raconte la vie excentrique d’une cantatrice qui chante dramatiquement faux. D’autre part, le surprenant 1 : 54, premier long métrage du réalisateur québécois Yan England, décrit l’impasse dans laquelle se retrouve un étudiant en 5e secondaire victime de sévères intimidations.
1 : 54
Dans ce film, le prometteur Yan England nous entraîne au cœur du milieu scolaire sans démagogie ni moralisme. Il plonge le spectateur dans un monde auquel n’ont pratiquement pas accès les adultes qui entourent les élèves : qu’ils soient les parents, les pédagogues ou les spécialistes de tous genres.
Le premier jour des classes marque les retrouvailles de Tim et Francis. Il marque aussi la reprise des persécutions, dont les deux adolescents timides sont victimes de la part d’une bande d’élèves dominée par le champion de la course de vitesse, Jeff. Un fossé se creuse entre les deux amis lorsque ce dernier accuse Francis d’être gay. Craignant d’être exposé s’il prend sa défense, Tim bat en retraite, mais tente rapidement de se racheter. Trop tard. Le désespoir de Francis a déjà atteint un point de non-retour. Bouleversé, Tim jure vengeance.
Son plan: battre Jeff sur son propre terrain en joignant les rangs de l’équipe de course, qu’il avait quittée à la suite du décès de sa mère. Sous le regard bienveillant de son entraîneur et d’une compagne de classe gagnée à sa cause, Tim fait des progrès stupéfiants, qui compromettent la participation de Jeff au championnat provincial, où ce jeune athlète se voyait déjà. Lors d’un party, un incident embarrassant pour Tim, capté au moyen d’un téléphone, redonne l’avantage à son adversaire.
Plus l’histoire se déploie, plus le scénario se complique, jusqu’à mener à une finale coup-de-poing, fort réussie. Antoine Olivier Pilon (MOMMY) est crédible dans un rôle difficile, tout en tourment et en vulnérabilité. En intimidateur, Lou-Pascal Tremblay impressionne également dans son personnage sans cœur et détestable.
Un film qui ne laisse personne indifférent et qu’il faut soumettre à l’attention des jeunes et moins jeunes.
MARGUERITE
La superbe tragicomédie de Xavier Giannoli est enfin sur nos grands écrans. Il s’agit d’un véritable moment de grâce pour les amateurs de cinéma. Sur le ton et la trame, le film n’est pas sans rappeler à plusieurs moments le film phare qu’est BOULEVARD DU CRÉPUSCULE (1950) du cinéaste américain Billy Wilder.
Paris, années 1920. Le critique de musique Lucien Beaumont infiltre une soirée mondaine donnée par Marguerite Dumont, épouse d’un baron complaisant qu’elle a sauvé de la ruine. Au programme de cette réception destinée à recueillir des fonds pour les orphelins de guerre: un récital lyrique, auquel participe Hazel, une soprano fraîchement émoulue du conservatoire. Et la pièce de résistance: l’hôtesse elle-même, qui ignore à quel point elle chante faux et combien l’entendre sans rire est une pénitence.
Épatés par sa naïveté mêlée de témérité, Lucien et son comparse Kyril invitent Marguerite à se produire dans une farce anarchiste et dadaïste dont elle sera, à son insu, le dindon. Sourde aux injures de l’assistance et enhardie par cette toute première expérience devant un vrai public, l’aristocrate riche à craquer se met en tête de monter un spectacle à l’opéra. Au grand désespoir de son mari infidèle, qui craint de la voir se couvrir de ridicule.
Au destin tragique de son héroïne, habitée par un sentiment de grand vide et un profond manque d’amour, le cinéaste oppose la duplicité et l’hypocrisie de ceux et celles qui ont entretenu les illusions de Marguerite. La reconstitution d’époque est parfaite, les acteurs sont merveilleux; c’est comique et touchant à la foi. Détentrice du César de la meilleure interprétation féminine en 2016, Catherine Frot joue avec enthousiasme, justesse et émotion le personnage de Marguerite, sans doute le plus beau rôle de sa carrière.
Gilles Leblanc