Ecrit sous la forme d’un journal, ce livre du directeur des ressources humaines chargé de la gestion des cadres du groupe Saint-Gobain est un témoignage et une réflexion sur la place de l’homme dans les entreprises. A partir de milliers d’entretiens avec les interlocuteurs d’une soixantaine de nationalités, l’auteur nous confie quelques-unes des histoires qu’ils ont vécues pour les analyser, les éclairer et préciser ce qu’est le long travail de l’écoute et de l’accompagnement. Il y exprime ses hésitations et ses doutes et nous livre les convictions qui le guident. Cet ouvrage met en évidence la tension entre les impératifs de la loi du profit et l’attention à chacun – une tension qui prend la forme d’un combat intérieur chez celui qui a le souci de rester fidèle à ces deux pôles d’exigences apparemment contradictoires. Dans les joies et les tourments de cette tâche sans fin se dévoile progressivement l’image d’un Autre, discrète mais toujours présente.
Né en 1941, Xavier Grenet a enseigné la philosophie avant d’entrer à Saint-Gobain en 1973. Son parcours l’a conduit à la communication aux questions sociales, puis à des fonctions de DRH, à partir de 1985, en charge successivement de la branche vitrage et de la gestion des cadres du groupe.
Membre du Mouvement Chrétien des cadres et dirigeants, il en a été le président de 1990 à 1993. Il est également engagé aux Semaines Sociales de France, à l’Observatoire chrétien de l’entreprise et de la société, à la Fondation d’Auteuil.
Extraits de la préface du livre
Ces cahiers sont tout le contraire de ce que semblent annoncer les trois initiales sèches qui désignent la fonction de Xavier Grenet dans le groupe Saint-Gobain: DRH.
Ceux donc qui s’attendent à y trouver quelque nouvel inventaire de cas à l’usage des professionnels de la gestion du personnel ou même un recueil de portraits ou de « caractères » propre à instruire ou à amuser le lecteur, ceux-là en seront pour leurs frais. Il n’y a pas dans ces pages l’ombre d’une posture magistrale de la part d’un ancien vis-à-vis de collègues en quête de conseils ou de distractions.
Xavier Grenet nous livre ici le récit – synthèse ou morceaux choisis, il ne le dit pas – des entretiens soigneusement consignés sur des cahiers d’écoliers, qu’il a menés jour après jour et pendant plus de vingt ans, entre les murs de son bureau de la Défense, à Shanghai, Bombay, Valley Forge ou Sao Paulo, avec 4000 ou 5000 cadres. Et il entremêle la relation de ces dialogues de réflexions personnelles concernant son interlocuteur, dissimulé derrière un prénom, et plus souvent encore le concernant lui-même -« chacun de nous ne peut en accueillir un autre, nous confie-t-il, qu’à partir de ce qu’il est lui-même» – et on y sent parfois un frémissement d’angoisse sur le sens de son action et sa légitimité au regard du groupe qui l’emploie, mais aussi de l’Autre, ce Dieu dont la présence discrète mais permanente ne cesse d’affleurer ses propos.
Au fond, cet ouvrage représente une version moderne des Essais, des Pensées, des Confessions, un genre littéraire qu’ont illustré tout au long de la littérature, surtout en France, ces philosophes ou moralistes de la vie quotidienne, qu’ont été Montaigne, qu’il ne cite jamais, Pascal, qu’il cite souvent, ou Saint-Exupéry. Il est leur disciple et leur continuateur par la liberté de la pensée, mais aussi le style aigu, le goût pour les formules – celle-ci que j’aime pour son accent pascalien, « pour que passe la grâce, il faut des trous dans l’être » – et plus encore par la méthode.
Xavier Grenet nous dit lui-même qu’il a repris sans cesse ses cahiers, les a médités, ruminés, en un dialogue poursuivi au long des années et que ces rencontres ont mûri son expérience et n’ont cessé de l’accompagner dans son cheminement.
Il sympathise, au sens plein du terme, avec ces existences, anonymes pour nous mais si vives dans son souvenir, « compatit » – le mot est de lui – avec leurs tourments, s’émerveille de leurs joies et surtout s’investit totalement – et là il n’est plus moraliste, mais quasi-directeur de conscience dans la recherche d’une voie professionnelle où son interlocuteur a des chances de s’épanouir pour son plus grand bien personnel et celui de l’entreprise qu’ils ont mission de servir, lui et eux. C’est à ce point-là, semble-t-il, que naissent les tourments, dans cette tension entre le service des personnes – on n’ose dire le soin des âmes -, et les exigences d’un groupe industriel soumis à la loi du profit s’il veut grandir ou seulement survivre.
L’ordre de mission confié à Xavier Grenet, cadre dirigeant de Saint-Gobain, est en effet, suivant la formule synthétique de Jean-Louis Beffa, président du groupe, de « dynamiser la gestion de nos meilleurs talents ». Xavier Grenet n’a rien à redire à cela, mais il est assez lucide pour comprendre à la fois la rationalité de cet impératif catégorique et en même temps l’immense difficulté de le traduire en paroles et en attitudes concrètes vis-à-vis de cadres aux talents et aux cultures diverses, à travers leur histoire singulière, leurs drames professionnels ou personnels et les situations dans lesquelles, par hasard ou par vocation, ils se trouvent plongés. Xavier Grenet trouve, il est vrai, un réconfort dans son attachement, on peut dire sa passion pour Saint-Gobain, et un appui dans les principes de respect des personnes inscrits non seulement dans la Charte éthique, mais en vertu d’une tradition très ancienne, dans les gènes les plus profonds de l’entreprise. Nommer un directeur des cadres « humaniste» n’était certainement pas, dans l’intention de Jean-Louis Beffa qui connaissait son homme lorsqu’il l’a installé dans ses fonctions, se donner un alibi pour masquer d’inavouables férocités, pas davantage s’associer un gourou incasable dans un organigramme industriel, mais c’était tout simplement créer un outil indispensable dans une gestion globale qui inclut une attention vigilante portée aux personnes.
Xavier Grenet mesure certainement lui-même la part de gratuité inhérente à sa fonction dans une entreprise où tout se compte. Il sait aussi combien est rude la tâche de médiateur entre, d’une part, ceux qu’il appelle, avec quand même un rien de tendresse « les fauves », grands responsables industriels parfois apprivoisables, voués par métier et par tempérament au culte de la performance et, d’autre part, le peuple inégalement chanceux et méritant de ceux dont il reçoit, toutes portes fermées, les confidences. Il fallait beaucoup de courage à Xavier Grenet pour assumer en toute droiture et sans complaisance cette tâche indéfinie, mais il avait l’âme trop délicate pour ne pas être tourmenté aussi par son impuissance à guérir toutes les plaies, raccommoder tous les accrocs, bref à installer dans cette vaste communauté humaine en mouvement le règne de la justice. Mais il sait que le Royaume de Dieu est déjà annoncé et qu’il faut travailler à le faire advenir dans les royaumes de la terre, y compris dans celui du business.
C’est à ce point-là, semble-t-il, que naissent les tourments, dans cette tension entre le service des personnes – on n’ose dire le soin des âmes -, et les exigences d’un groupe industriel soumis à la loi du profit s’il veut grandir ou seulement survivre.
L’ordre de mission confié à Xavier Grenet, cadre dirigeant de Saint-Gobain, est en effet, suivant la formule synthétique de Jean-Louis Beffa, président du groupe, de « dynamiser la gestion de nos meilleurs talents ». Xavier Grenet n’a rien à redire à cela, mais il est assez lucide pour comprendre à la fois la rationalité de cet impératif catégorique et en même temps l’immense difficulté de le traduire en paroles et en attitudes concrètes vis-à-vis de cadres aux talents et aux cultures.
Bien entendu, toutes les communautés humaines sont confrontées au même dilemme. Les administrations publiques ne sont certes pas soustraites aux impératifs d’efficacité, mais ayant reçu au moins provisoirement des promesses d’éternité, elles déploient vis-à-vis de leurs agents moins d’exigences et du coup symétriquement moins d’attention à leur sort singulier. Leurs DRH ne se sentent pas appelés à gérer les mérites des fonctionnaires ni à plus forte raison leurs peines ou leurs joies, mais plus prosaïquement leur statut.
Quant à la classe politique, elle est soumise, à l’intérieur d’un cercle restreint mais relativement stable, au darwinisme le plus cruel et il serait naïf de vouloir opposer à la combativité des individus la moindre règle de bienséance. Seul le souci du bien public pour les meilleurs d’entre eux et, pour tous, le glaive de la loi peuvent y prétendre et encore n’est-ce pas toujours sûr.
Ni l’auteur, ni à plus forte raison le préfacier de ce livre, ne prétendront épuiser le sujet. Comme le dit Xavier Grenet, il y a le « reste », fluctuant et imprévisible.
D’abord, ce qu’on appelait en des temps pas si lointains « la question sociale» – c’est-à-dire la relation entre les dirigeants et les salariés organisés, baptisés aujourd’hui partenaires sociaux -, qui n’est pas le sujet de ce livre. Dans des temps de misère et de restructuration elle pourrait s’imposer à nouveau. Xavier Grenet en a fait l’expérience à ses débuts. Nul ne sait ce qu’il en adviendra dans les temps futurs dont rien ne dit qu’ils seront apaisés.
Et puis, notre société se diversifie, disons se féminise et change de couleur. Les cadres de Saint-Gobain, dans la partie française du groupe, restent globalement conformes au modèle jadis dominant, masculin et hexagonal. Ils ne sont pas les seuls, mais peut-être les futurs DRH devront-ils déployer encore plus d’imagination, à l’avenir, pour rompre ce qui reviendrait à un encerclement.
Enfin, il y a une vie à côté de l’entreprise Saint-Gobain, et de plus en plus après elle. Xavier Grenet s’en soucie, mais on sent qu’il peine à garantir l’espace d’autonomie de ses interlocuteurs face à une entreprise qui risque de devenir à ses propres dépens croqueuse d’hommes.
Bref, l’évolution du monde, pour l’instant indéchiffrable, fera surgir à coup sûr, pour la joie et le tourment de ses successeurs, des formes insoupçonnées d’alter management. Souhaitons qu’ils ou qu’elles soient, comme lui, des bâtisseurs d’humanité.
L’entreprise est dans le monde contemporain un être à part, différent des précédents, mais son rôle va grandissant et son modèle d’organisation tend à s’imposer à toute la société. Quelles que soient ses activités, industrie lourde ou société de service, elle a conscience, au plus intime de ses fibres, qu’elle est mortelle et que, pour ne pas être mangée, elle a besoin de cohortes d’hommes et de femmes entièrement dévoués à sa survie: c’est à cette aristocratie de cadres que Xavier Grenet consacre tarit de soin car, s’il est important de recruter les meilleurs, il est plus essentiel encore de savoir les retenir pour soi plutôt que de les voir porter ailleurs leur rancœur et leur expérience.
Qu’il me soit permis de dire, ayant personnellement consacré à Saint-Gobain vingt-cinq années continues de carrière, à différents niveaux de la hiérarchie, et conservé des liens fraternels avec ses dirigeants actuels, que je suis personnellement convaincu de l’utilité stratégique de cette fonction, exercée suivant les époques et les modes par des officiers en retraite, des juristes, des ingénieurs et parfois même par des psychologues, et me félicite que son actuel titulaire, qui n’appartient à aucun des collèges précédents, ait su, quelque temps avant de passer la main, en tirer la philosophie et, pour mieux dire, la spiritualité.
ROGER FAUROUX, ancien ministre de l’Industrie, président d’honneur de Saint-Gobain.
Bonjour,
J’ai rencontré monsieur Xavier grenet, a maintes reprises. Il ne m’a malheureusement pas donné cette impression d’ouverture et de souci de l’autre, avec un petit “a”…
10/10/2016
Bonjour,
Je viens de d’écouter, avec beaucoup d’intérêt, durant une journée les témoignages, le vécu, de Mr Grenet. Très intéressant, très enrichissant et ce monsieur nous a démontré les importances primordiales de l’écoute et du regard vers l’Autre.
Je connais XAVIER GRENET
depuis une quinzaine d’années
Il fait partie des “sages” de l’ANDRH
Il enseigne chez une de mes amies ayant une ECOLE DE RESSOURCES HUMAINES, il est intervenu récemment à l’AMAC où il a fait l’unanimité
C’est qq’un de profondément humain puisant ses sources
dans des lectures de fin lettré et dans toute saspiritualité