Le Psaume 84 fait partie des supplications collectives. Il se divise en trois parties :
– bonheur passé (v. 2-4) ;
– misères présentes (v. 5-8) ;
– paradis futur (v. 9-14).
LE BONHEUR PASSÉ (v. 2-4)
Cette première partie évoque le passé. On est en 538 avant Jésus Christ ou peu après. Le Seigneur est intervenu en faveur de son peuple. Il a choisi un païen, Cyrus, roi des Mèdes et des Perses, pour mettre fin à l’exil à Babylone et faire rebâtir le temple de Jérusalem (Esdras 1, 1-4 ; 6, 1-5). Le psalmiste évoque ces grands événements historiques mais également d’autres bienfaits divins: « Tu as aimé, Seigneur, cette terre » (v. 2a), « tu as fait revenir les déportés de Jacob » (v. 2b), « tu as ôté le péché de ton peuple » (v. 3a), « tu as couvert toute sa faute » (v. 3 b), « tu as mis fin à toutes tes colères » (v. 4a), « tu es revenu de ta grande fureur » (v. 4b). Le texte hébreu conjugue ces six verbes au passé. On les trouve souvent traduits au présent. Ils sont alors interprétés, sans raison, comme des « passés prophétiques ». Mais, ici, il est préférable de les laisser au passé ordinaire. En outre, signalons que l’on pourrait lire « ta terre » au lieu de « cette terre » (v. 2a) car il s’agit bel et bien de la terre que le Seigneur a donnée en usufruit à Israël considéré comme synonyme de sa terre.
LES MISÈRES PRÉSENTES
Le mot « déception » résume entièrement la deuxième partie. Le retour dans la patrie devait mettre fin à tous les maux. Or, il n’en est rien. D’abord, à lui seul le voyage de Babylone à Jérusalem constitue, au VIe siècle avant Jésus Christ, un véritable exploit. Davantage encore, rendus à destination, les rapatriés sont victimes d’exactions de toutes sortes. Or, le psalmiste n’en devient que plus audacieux dans ses demandes. Pour lui, le retour d’Israël implique aussi le retour du Seigneur. Tel est le sens de l’antienne proposée par la liturgie des Heures durant le Carême (Office du matin du Jeudi II) : « Reviens vers nous, Seigneur, que nous revenions à toi ! » Voilà justement ce que demande le psalmiste : « Fais-nous revenir » (v. 5a). Comme l’exil est terminé, il pense au complet rétablissement d’Israël. Mais cela ne se fera pas sans que le Seigneur lui aussi revienne à de meilleures dispositions : « Oublie ton ressentiment contre nous » (v. 5b),« Seras-tu toujours irrité contre nous », « maintiendras-tu ta colère d’âge en âge ? » (v. 6) Puis, devenant soudain plus calme, il exprime sa foi en la miséricorde divine (v. 7). Finalement, le psalmiste demande à Dieu de manifester son amour et son salut (v. 8).
LE PARADIS FUTUR (v. 9-14)
L’oracle de paix (v. 9-10)
La « paix » dont il s’agit est la paix messianique qui commence ici-bas. Déjà, elle essaie de transformer la terre en un monde nouveau illuminé par la gloire du Seigneur. Les « fidèles » représentent les hommes vivant dans la proximité de Dieu. En hébreu, on les appelle les hasidim, de la racine hébraïque hesed. lié à la théologie de l’alliance. Il signifie l’amour, la fidélité des deux parties contractantes. Par conséquent, que les fidèles « ne reviennent jamais à leur folie ! » (v. 9d) Mais, à cette traduction du texte hébreu, les exégètes préfèrent celle de la Septante (LXX) qui demande plutôt que les fidèles tournent leur cœur vers lui (Dieu). Qui plus est, cette dernière traduction a l’avantage d’exprimer, une fois de plus, le thème du « retour », cher au psalmiste.
Le psalmiste poursuit: « Son salut est proche de ceux qui le craignent. » (v. 10a) Cette dernière expression peut désigner le groupe des « craignant Dieu », appellation synonyme de hasidim. Tout ce monde-là vivra dans la proximité divine, car « la gloire habitera notre terre » (v. 10b). Cette « gloire », qui correspond à la nuée qui jadis accompagnait les Hébreux au désert, désigne la présence agissante de Dieu au milieu des hommes. Elle quitta le Temple de Jérusalem lors de la prise de la ville par les Babyloniens, en 587 (Ézéchiel 11, 22-23) et voilà qu’elle revient maintenant résider dans le Temple reconstruit (Ézéchiel 43, 4). Ici, le psalmiste manque de mots pour parler d’un événement d’une telle grandeur.
Commentaire de l’oracle (v. 11-14)
Aussitôt conçu, le projet se réalise. Les attributs divins, personnifiés en danseurs, descendent du ciel : amour, vérité, justice et paix. Ainsi transformés, ils couvrent le monde dans la joie délirante du ciel. Ils vont et viennent à la vitesse de l’éclair, se rencontrent et s’embrassent (v. 11). Dès le verset suivant (v. 12) la scène s’élargit aux dimensions du cosmos. Deux figurants, « vérité » et « justice », se détachent du premier groupe pour rencontrer sur terre : « La vérité germera de la terre et du ciel se penchera la justice. » (v. 12). On pense à certains grands textes messianiques : (Jérémie 23, 5 ; Zacharie 3, 8 et 6,12) où se retrouve même la racine du verbe « germer ».
La mise en scène maintenant terminée, la théophanie commence. Aussitôt descendu sur terre, le Seigneur « donnera ses bienfaits » (v. 13a), « notre terre donnera son fruit » (v. 13b) et « justice marchera devant lui » (v. 14a). Le stique suivant (14b) est célèbre par l’ambiguïté du texte hébreu. Qui est le sujet du verbe ? En vertu du parallélisme à corriger, des auteurs proposent le mot « paix ». Ainsi reconstituée, l’image devient cohérente : « La justice marchera devant lui » (v. 14a) et la paix (marchera) sur ses pas (v. 14b). Autrement dit, la justice précèdera le Seigneur et la paix le suivra, comme dans Habaquq 3, 5.
PRIER AVEC LE PSAUME 84
Le passé, le présent, l’avenir. Rappelons que les rapatriés revenus de Babylone ne commencent pas par demander des nouvelles grâces. Bien au contraire, ils évoquent d’abord les nombreux bienfaits qu’ils ont reçus du Seigneur, dans le passé: « Tu as aimé, Seigneur, cette terre, tu as fait revenir les déportés de Jacob », etc. Quant à nous, peut-être la crainte des distractions dans la prière nous empêche-t-elle de penser au passé. Pourquoi ne pas profiter de ces moments-là pour rappeler les innombrables bienfaits dont nous avons été comblés aux étapes antérieures de notre vie ? Nous inspirant de la première partie du psaume, rien ne nous empêche de rappeler au Seigneur qu’à tel ou tel moment il nous a accordé ceci ou cela.
À certains égards, ne sommes-nous pas dans une situation semblable à celle des contemporains de la deuxième partie du psaume ? Le mot « déception » qui décrivait leur état d’âme correspond aussi, parfois, à ce que nous vivons. Et pas seulement dans le domaine de la foi. En guise d’encouragement, il fait bon citer la Première lettre de saint Jean : « Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons ne paraît pas encore clairement. » (1 Jean 3, 2)
Quant à la réalisation complète des bienfaits de la part de Dieu, elle est encore à venir. C’est ce que décrit la troisième partie du psaume. Nous, chrétiennes et chrétiens d’aujourd’hui, croyons que la terre a vraiment donné son fruit par l’incarnation du Verbe dans le sein de Marie (Jean 1, 14). Dans le cortège divin qui cherche à transformer le monde, la justice doit nécessairement précéder la paix.