Le Petit Robert, au moins dans mon édition, ne connaît pas le mot kitsch, qui appartient en tout cas au vocabulaire de l’histoire de l’art. Mon dictionnaire allemand le traduit par : sentimental, bon marché, guimauve, terme que Le Robert décrit comme fade et mou ! Mais il y a une grande tradition littéraire, sinon de la littérature, qui se situe dans ce registre sentimental et facile, et ce sont ces livres qui se vendent le mieux. On les a toujours trouvés dans les kiosques et ils sont les héritiers des feuilletons des journaux, qui diffusèrent la bonne et la mauvaise littérature au XIXe siècle.
Angel, de François Ozon
C’est l’habileté de François Ozon, déjà réalisateur, entre autres, de l’étrange Sous le sable et de l’émouvant Temps qui reste, d’avoir choisi Angel, un roman d’Elizabeth Taylor (1912-1975), la romancière, pas l’actrice, publié en 1957, pour analyser ce phénomène de l’attrait de l’œuvre sentimentale et facile. Il le fait cependant par un étonnant jeu de miroirs ; il déconstruit le genre du roman (et du film) à l’eau de rose par l’excès et la parodie, avec assez d’intelligence ou de perversité pour qu’on se demande même s’il y croit vraiment, s’il n’a pas hésité à passer au second degré.
Fille d’une épicière, Angelina est depuis son jeune âge persuadée de son génie littéraire. Ses grands airs lui valent bien des sarcasmes à l’école et dans la petite ville anglaise où elle habite en ce début du XXe siècle. Douée d’une imagination débordante, elle noircit des pages et des pages. Le plus beau est que cela marche… Angel Deverell, comme elle signe, devient richissime avec ses romans populaires et peut s’acheter le manoir de ses rêves, Paradise, qu’elle meuble de façon extravagante et vulgaire. Grandiloquente, tyrannique, capricieuse, d’une vanité désarmante, elle s’offre un chien immense, une secrétaire qui l’adore, Nora, et, comme mari, Esmé, le frère de cette dernière, peintre maudit, joueur et buveur invétéré.
Mais arrive la Grande Guerre et Esmé choisit de s’engager, en partie pour échapper à l’amour étouffant et égoïste d’Angel. Pour se venger de cet abandon insensé à ses yeux puisque le monde doit tourner autour d’elle, Angel se lance dans des romans pacifistes, qui n’ont aucun succès à l’heure de l’exaltation patriotique. Lorsque Esmé revient, amputé d’une jambe, il mène une double vie. C’est la décadence et même la déchéance pour Angel, oubliée de ses lecteurs, de son mari, de son éditeur et de tous, sauf de la fidèle et amoureuse Nora. On aura reconnu le schéma mélodramatique et épique qui faisait le charme d’Autant en emporte le vent : des amours excessives et impossibles, sur fond de grande histoire.
Ozon, qui a pris le risque de tourner en anglais, ne ménage pas ses effets. Il a d’abord trouvé une actrice magnifique, Romola Garai, qui littéralement, comme il se devait, « fait » le film et « crève l’écran ». Il a su commander une musique sirupeuse à souhait, faire dessiner d’admirables costumes avec des crinolines totalement démodées à l’époque où se passe l’action, manier la caméra pour des plans parfaitement convenus.
S’agit-il d’une analyse du « statut de l’artiste » ou d’une critique du « star system », comme on l’a dit ? Voyons-y plutôt un jeu sur le divertissement dans sa fonction de drogue pour distraire et faire oublier la trop dure réalité… qui a été conçu pour notre divertissement.
Ensemble, c’est tout, de Claude Berri
Claude Berri aussi a voulu nous divertir avec Ensemble, c’est tout, mais il adopte en quelque sorte la démarche inverse. Il part de l’infortune, du malheur de vivre, pour aboutir à la réconciliation avec les autres et avec soi-même. Ici le kitsch, ce sont les bons sentiments. Le film est sauvé en ce qu’il n’a pas de prétentions et se révèle comme une comédie américaine à l’ancienne, saupoudrée d’esprit français, à partir d’un roman à succès d’Anna Gavalda, peut-être apparenté à ceux dont on parlait plus haut.
Les trois personnages sont mal dans leur peau. Camille est anorexique et se méfie des rapports humains un peu affectueux, comme de la nourriture. Franck, cuisinier dans un restaurant, est irascible et même méchant quand quelque chose ne lui plaît pas et c’est par pure bonté d’âme qu’il est hébergé par Philibert. Ce dernier, rejeton d’une noble famille, n’est pas seulement original, mais il a un bégaiement aristocratique dont il se passerait bien.
En coexistant dans le grand appartement de Philibert, et surtout en accueillant la grand-mère de Franck, qui, handicapée, se languit de son pavillon, une solidarité se crée. Un bienfait n’est jamais perdu… Philibert va trouver un bon orthophoniste, dont les séances sont des morceaux d’anthologie, et ne va plus hésiter à se consacrer au théâtre et trouver chaussure à son pied. Camille, qui dessine avec talent, apprivoise Franck le dur, qui en fait est un gentil, mais ne veut pas tomber amoureuse de lui. Comme tout doit bien finir, Franck pourra ouvrir son propre restaurant avec sa jolie petite femme.
Cela ne porte pas à conséquence, mais les acteurs, des premiers aux seconds rôles, sont excellents et la musique est jolie et lyrique. On sable beaucoup le (faux) champagne dans le film, mais la bonne humeur qui y règne n’est pas factice et on peut bien de temps à autre se faire plaisir avec un zeste de kitsch !