Les liens familiaux, si fragiles soient-ils, font partie de ce que l’on est. Sur le grand écran, deux productions québécoises récentes en font état avec aplomb. Dans PAUL À QUÉBEC, le réalisateur François Bouvier présente une famille diversifiée que se rassemble autour de son patriarche en fin de vie. Pour sa part, Guy Édoin réalise dans VILLE-MARIE un drame original autour de la recherche croisée de deux mères séparées de leur fils respectif.
PAUL À QUÉBEC
Dans la version filmée qui réfère régulièrement et adroitement à la bande dessinée de Michel Rabagliati qui l’a inspirée, PAUL À QUÉBEC émeut profondément sans donner l’impression de chercher à le faire. C’est un hommage au talent de réalisateur et de scénariste de François Bouvier (HISTOIRE D’HIVER) qui fait preuve d’une magnifique sensibilité pour créer un film qui flotte brillamment entre le drame et l’anecdote tirant de chacun ce qu’il a d’essentiel.
C’est Paul qui raconte l’histoire. Paul est en couple avec Lucie issue d’une famille tissée serrée autour du noyau formé de Roland et Lisette qui résident à Saint-Nicolas, tout près de Québec. Par tradition, la famille se réunit quelques fois l’an pour des occasions spéciales. Roland a beau en vouloir à Paul de ne jamais avoir demandé sa fille en mariage, une certaine complicité pudique s’est créée entre les deux.
Quand Roland entre d’urgence à l’hôpital pour une occlusion intestinale, le médecin se voit contraint d’annoncer à la famille la vérité que Roland et Lisette n’ont pas osé dire à leurs enfants: Celui-ci souffre d’un cancer incurable et il lui reste peu de temps à vivre. La famille, plus soudée que jamais, les accompagne dans l’ultime aventure qui passe bientôt par un centre de soins palliatifs.
C’est donc un film sur la mort. Pourtant, et c’est bien là la plus belle qualité de ce film, tout cela est proposé avec une délicatesse et une légèreté délicieusement dosée qui n’est jamais une fuite. C’est le ton de la vie qui bat, qui se poursuit même quand quelqu’un nous quitte en emportant une petite part de nous.
Il faut souligner la cohérence remarquable de toute la mise en scène élaborée par François Bouvier. Le jeu des interprètes reproduit parfaitement le ton doux-amer de cette histoire, la sensibilité et la bonhomie de sa narration. François Létourneau (QUÉBEC-MONTRÉAL) se fond apparemment sans le moindre effort dans la peau de Paul comme chaque interprète dans celle de son personnage mais c’est Gilbert Sicotte (LE VENDEUR) qui, en Roland, offre une prestation magistrale. Tout en justesse, en nuances, en pudeur, en intériorité et en intensité.
VILLE-MARIE
Comme Pedro Almodóvar – dont il affirme s’inspirer – notamment dans TOUT SUR MA MÈRE, le réalisateur Guy Édoin (MARÉCAGES) insère ici un film dans le film, qui vient indirectement éclairer l’action tout en émaillant celle-ci de séquences filmées dans un style radicalement différent. En effet, le mélodrame campé dans les années 1950 que tourne Sophie, évoque tour à tour Todd Haynes (LOIN DU PARADIS) et François Ozon (8 FEMMES), pour demeurer dans les mises en abyme.
Pour la « star » européenne, ce tournage est surtout l’occasion de renouer avec son fils Thomas, qui étudie dans la métropole. Marie travaille à Montréal aux urgences de l’hôpital Ville-Marie. Pour l’infirmière exténuée, le surmenage est d’abord un moyen de ne pas penser à son fils Simon, qui vit avec sa grand-mère à la campagne. L’une se languit de sa progéniture, l’autre la fuit. Semblables dans leur différence, Sophie et Marie sont les héroïnes de deux récits de maternité parallèles que le cinéaste Guy Édoin fusionne graduellement dans VILLE-MARIE, un deuxième long métrage foisonnant et beau.
Le scénario coécrit avec l’écrivain Jean-Simon DesRochers est fort riche et la mise en scène de Guy Édoin est splendide. Mais il y a plus. Ainsi la « vraie vie » de Sophie est filmée de manière « glamour », avec miroitements, dorures et clinquant, tandis que celle de Marie est dépeinte au moyen d’une palette terne. Alternées lors des deux premiers actes, les trames de chacune convergent au troisième. Dès lors, la couleur est drainée du quotidien de Sophie tandis qu’une lumière diffuse paraît vouloir percer dans celui de Marie. Ces choix concertés de mise en scène et de direction photo, jumelés à un montage virtuose, font en sorte qu’un pari scénaristique potentiellement casse-gueule fonctionne.
Plus flamboyant, le rôle de Sophie est défendu avec panache par Monica Bellucci, actrice entière que Guy Édoin mythifie avant de la précipiter en bas de son socle pour mieux la voir se relever, frémissante d’humanité. Plus effacé, le rôle de Marie est interprété avec retenue par Pascale Bussières, comédienne brillante ayant déjà tenu ce rôle dans le précédent MARÉCAGES et à qui le cinéaste confie la tâche infiniment délicate de servir de point d’arrimage au spectateur.
Gilles Leblanc