Nous sommes à une semaine de Pâques. Une semaine sainte! La tradition la qualifie de sainte parce qu’elle fait mémoire des derniers jours du Christ avant sa résurrection. Autant le matin du «premier jour de la semaine», le dimanche, est reluisant de lumière, autant la semaine qui le précède se déroule sous un ciel gris, lourd d’orages. À Pâques, «la nuit devient lumineuse comme le jour» (Psaume 139 (138), 12). Mais tout au long de la semaine précédente, les jours sont opaques comme les nuits les plus lourdes.
Un drame traverse la semaine. Nous assistons à la terrible mort d’un homme. Terrible parce que la mort est toujours terrible. Terrible aussi parce que cette mort est celle d’un innocent qu’on condamne injustement. Terrible surtout parce que le condamné est nul autre que l’envoyé de Dieu. Et toucher l’envoyé, c’est atteindre Dieu lui-même.
Nous suivrons pas à pas l’agonie de l’homme de Nazareth. Nous assisterons à son repas d’adieu. Nous serons témoins de la trahison de Judas. Nous entendrons Pierre renier son maître et ami. Nous assisterons à des procès arrangés d’avance pour condamner l’accusé. Nous verrons des compagnons d’aventure perdre le nord et fuir la scène de la tragédie. Nous serons au pied de la croix quand l’homme se retrouvera tout seul en face de la mort.
Le drame de Jésus est aussi le drame de Dieu. Au cœur de l’histoire, la mort de Jésus constitue ni plus ni moins que l’assassinat de Dieu. Ce n’est pas la première fois que les humains s’attaquent à Dieu. Cette fois-ci, ils vont au bout de leur intention. Depuis les premières heures de l’humanité, les terriens confondent liberté et indépendance. Ils prennent leur alliance avec Dieu pour un cordon ombilical qu’il faudrait couper pour atteindre la liberté. Ils ne se rendent pas compte qu’ils sont ouverts sur les autres et sur l’Autre et que leur vie n’a de sens qu’orientée vers Dieu. «Nous sommes faits pour Dieu et notre cœur n’aura de repos qu’en Dieu.» (Saint Augustin)
Par conséquent, tuer Dieu, s’en affranchir, c’est tuer l’être humain, c’est nous rendre prisonniers de nous-mêmes. C’est couper notre horizon. En éliminant Dieu, nous touchons l’être humain. Nous le réduisons. Peut-être pouvons-nous nous définir sans Dieu, mais nous n’avons pas d’avenir sans lui.
La semaine commence avec un âne et des enfants qui chantent autour de l’homme devenu roi. Mais attention, quand un roi chevauche un âne, la Bible présente un humble, un pauvre. Celui qui trône n’a rien des majestés habituelles. Il n’est grand que petit. Il n’est riche que pauvre. Et il gouverne un royaume de pauvres gens dont l’aventure humaine est marquée par la souffrance.
Le roi avec qui nous entrons dans la grande semaine ne se présente pas comme le promoteur de la souffrance. Il n’exalte pas la pauvreté et la misère. Il nous invite cependant à assumer pleinement notre condition humaine et à la mener jusqu’au bout. Et il nous dit que le bout, la fin de la vie humaine, n’est pas la mort, mais la résurrection. Rien de moins.
«Hosanna!», crient les enfants le long du parcours du roi à dos d’âne. En français, cela signifie : «Sauve-nous!» C’est une supplication, et pourtant on la crie avec la conviction profonde que la mort de ce roi est déjà en train de sauver l’humanité parce qu’elle l’ouvre sur Dieu. Au pied de la croix, devant l’homme défiguré, un soldat romain ose dire : «Vraiment, cet homme était Fils de Dieu» (Marc 15, 39) Dieu est reconnu dans le corps blessé et maltraité d’un homme! Étonnante reconnaissance!