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L’Evangile de Séoul à Saint-Denis (2e partie)

Imprimer Par Olivier de Berranger

Olivier de Berranger est l’un des rares évêques français à avoir laissé une part de sa vie de prêtre à des milliers de kilomêtres de l’Hexagone, du côté du Soleil levant. Durant plus de quinze ans, à Séoul, l’actuel évêque de Saint-Denis en France, a appris à parler, à manger, rire, célébrer, prier en coréen. C’est le récit de cette immersion éprouvante et enrichissante que nous propose l’auteur.

Au milieu d’une intense activité se révèle la face cachée du miracle économique coréen aujourd’hui ébranlé par la crise : surexploitation des salariés, accidents du travail, corruption endémique… L’Eglise catholique vieille de plus de deux siècles, née sans prêtres, se fait rempart du mouvement syndical. Elle propose un chemin d’évangile aux Coréens, ces « fils du Ciel », créatures fugaces et pouratnt uniques du cosmos. Dans une culture imprégnée de confucianisme, le culte des ancêtres passe avant le respect de la liberté individuelle. Christianisme et religion de la bénédiction s’entremêlent et s’interpellent.

Au fil des pages, les visages empeints de sagesse et de grâce de Séoul croisent ceux des banlieues métissées de Saint-Denis. Peu à peu, se dessine un homme aux deux cultures et le lecteur se laisse ainsi bousculter par cet Evangile du lointain.

P15 et suivantes

Durant mes années vécues dans les paroisses populaires de Séoul, je rendais visite aux familles, quartier par quartier. Bien des prêtres font encore de même aujourd’hui car les fidèles demeurent dispersés dans une masse considérable. Par exemple, dans la paroisse de Kuro, dont je fus cinq ans le curé, les catholiques n’étaient que 3 000 pour 100 000 habitants. Ce fut toujours pour moi un ministère privilégié. Je le faisais le soir afin d’être sûr de rencontrer le père de famille. L’épouse me recevait, m’installait dans la pièce centrale où l’on introduisait ensuite le chef de maison. Unecertaine gêne s’exprimait lorsqu’il m’avouait qu’il n’allait pas à l’église.. parce qu’il travaillait dix ou douze heures par jour!

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Il y a un sentiment religieux, au plus profond de l’homme, qui s’enracine dans la bénédiction. Ceci est particulièrement vrai pour la civilisation chinoise. En Corée, nul ne se plaint jamais d’avoir à travailler dur pour s’en sortir avec toute sa famille. Quand vient la réussite, c’est que « le cil » vous a aidé, que l’on a été « béni » et il faut savoir en rendre grâce. Dans une culture imprégnée de confucianisme, « le ciel » n’est pas un dieu personnel. Selon que votre famille ou votre quartier sont le plus marquées par le protestantisme, le catholicisme ou une autre confession, on se rendra au temple ou à l’église exprimer ce besoin de rendre grâce.

Dans la religion de la bénédictio, je ne trouve ni archaïsme, ni superstition, rien de méprisable. En toute réalité cosmique, et l’homme en fait partie, n’y a-t-il pas une beauté dont seule l’âme peut refléter la finesse, comme la rivière au clair de lune ? Par cette intuition d’une certaine merveille de l’être, l’homme est tout prêt de se reconnaître créature, c’est à dire fugace et pourtant unique. La poésie et la peinture coréennes expriment parfaitement ce sentiment. Nous naissons un jour, nous mourrons un jour. N’est-ce pas le messe du livre de l’Ecclésiaste ?

Ce trait de caractère imprègne les comportements des catholiques coréens et participe à une évidente spontanéité de l’expression de la foi. Pasteur en milieu ouvrier, j’ai beaucoup travaillé aux côtés de jeunes jocistes. Or il est vrai qu’une méthode comme celle de la relecture de vie qui permet, chez nous, d’apporter tant d’attention au lien entre la foi et notre vie est moins prégnate parmi les fidèles coréens. En Occident, tout passe par la médiation de l’esprit critique et cela provoque des comportements, y compris religieux, que j’ai envie parfois de qualifier de parcimonieux. Les Coréens, eux, misent tout, tout de suite.

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Le rapport qu’entretiennent les catholiques coréens avec la liturgie chétienne révèle un autre trait de leur culture, un grand sens pragmatique. En arrivant en Corée, un Occidental peut éprouver une certaine déception due à l’apparente pauvreté des célébrations. Avec une certaine sagesse, les Coréens ne se précipitent pas pour inculturer des rites catholiques qui ne sont pas encore vraiment les leurs. L’Eglise est consciente de n’avoir que 215 ans d’histoire. L’urgence n’est pas, pour elle, de remplacer le pain par du riz.

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La liturgie de l’Eglise catholique en Corée s’est parfaitement afaptée à ce trait culturel. Ce ne sont pas les zones bleues ou rouges des vacances scolaires qui comptent dans le calendrier des catholiques coréens. Mais de savoir que l’on est dans le temps de l’Avent ou dans celui du Carême. Chaque jour, grâce au calendrier qu’ils ont reçu par leur paroisse, ils savent quelles sont la lecture et l’Evangile du jour et ils n’hésitent pas à les méditer en famille.

Le mercredi soir, dans les zones populaires comme dans les quartiers chics de Séoul, des étudiants ou des personnes de tous âges se déplacent avec une grande Bible et un livre de chant sous le bras. Ils se rendent à l’office protestant. Je me souviensavoir vu une jeune guichetière, à l’entrée d’un jardin public, travailler sa Bible tout en vendant des tickets. Ou dans le métro bondé, de jeunes hommes plongés dans l’étude de l’hébreu. Le christianisme s’est greffé sur une culture très ancienne de l’écriture. On parle pas d’ailleurs de la Bible, ce mot qui signifie « bibliothèque ». On lui préfère un mot qui correspond à Saintes Ecritures.

La culture chinoise considère l’écriture comme un art à part entière. Les protestants ont compris ce respect de l’écriture pour transmettre le sens que celle-ci a dans la Tradition chrétienne. Elle est la parole de la Révélation. Les chrétiens coréens, encore minoritaires dans ce pays, connaissent généralement mieux la Bible que les Français. Même les non-chrétiens, en Corée, lisent la Bible. Pas seulement parce que c’est un best-seller mondial. Mais ils savent qu’il y a dans les Saintes Ecritures une sagesse, qui eur parle de Dieu, de la grandeur de l’homme et de la Création. Dans chaque appartement, la Bible n’est pas empoussiérée sur un rayon de bibliothèque. Il y a quelque part un petit autel avec le livre ouvert. Et il est lu.

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