Chercheurs de Dieu
Jésus était né à Bethléem en Judée, au temps du roi Hérode le Grand. Or, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem et demandèrent : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Nous avons vu se lever son étoile et nous sommes venus nous prosterner devant lui. » En apprenant cela, le roi Hérode fut pris d’inquiétude, et tout Jérusalem avec lui. Il réunit tous les chefs des prêtres et tous les scribes d’Israël, pour leur demander en quel lieu devait naître le Messie. Ils lui répondirent : « A Bethléem en Judée, car voici ce qui est écrit par le prophète : Et toi, Bethléem en Judée, tu n’es certes pas le dernier parmi les chefs-lieux de Judée ; car de toi sortira un chef, qui sera le berger d’Israël mon peuple. » Alors Hérode convoqua les mages en secret pour leur faire préciser à quelle date l’étoile était apparue ; puis il les envoya à Bethléem, en leur disant : « Allez vous renseigner avec précision sur l’enfant. Et quand vous l’aurez trouvé, avertissez-moi pour que j’aille, moi aussi, me prosterner devant lui. » Sur ces paroles du roi, ils partirent. Et voilà que l’étoile qu’ils avaient vue se lever les précédait ; elle vint s’arrêter au-dessus du lieu où se trouvait l’enfant. Quand ils virent l’étoile, ils éprouvèrent une très grande joie. En entrant dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère ; et, tombant à genoux, ils se prosternèrent devant lui. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Mais ensuite, avertis en songe de ne pas retourner chez Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.
Commentaire :
L’Épiphanie, fête des Rois, dernière de nos célébrations familiales des « Fêtes ». Mais, c’est aussi la fête des « Chercheurs de Dieu ». Cette Fête de Rois est à proprement parler plus grande que Noël. La liturgie célèbre en ce jour l’Épiphanie de Dieu, c’est à dire la manifestation glorieuse du Verbe de Dieu au milieu de nous, celui qui « vient visiter son peuple ». (Lc1,68). Essayons de découvrir le sens de la narration que Matthieu nous donne de l’événement dont il faisait le récit à ses ouailles dans les premières années du christianisme.
Nous sommes aux environs de l’an 5 avant l’ère chrétienne. Jésus, né depuis une quarantaine de jours, reçoit la visite des Mages. Ces sages, de grande influence dans leur pays, sans doute la Perse, adeptes de la doctrine de Zarathoustra et sans lien de parenté avec les astrologues, arrivent à Jérusalem. Combien étaient-ils : deux selon la fresque de saint Pierre et saint Marcelline, à Rome, trois, quatre, huit, et même douze selon les traditions syriennes et arméniennes ? Le nombre trois prévalut en référence avec les dons offerts et peut être aussi parce qu’ils représentaient les trois races de Sem, Cham et Japhet, issues de Noé. Leurs noms : Melchior, Gaspar et Balthasar, selon un manuscrit italien du IXe siècle.
«Où est le roi des Juifs qui vient de naître», demandèrent-ils ? On imagine la curiosité suscitée par ces inconnus allant et répétant la question à travers les rues étroites de Jérusalem. La question troubla le roi Hérode, tandis que les juifs l’entendaient avec scepticisme, sans toutefois demeurer parfaitement indifférents, car ce que ces étrangers annonçaient se trouvait au coeur de leur espérance. Ces mages avaient été conduits jusqu’à Jérusalem par une étoile, l’élément prodigieux du récit. « Ils ont vu son astre se lever.» L’étoile, remarquée dans les cieux de l’Orient, disparut par la suite pour réapparaître et se déplacer au fur et à mesure que les Mages cheminaient de Jérusalem à Bethléem. Phénomène naturel ou préternaturel ? Si nous options pour un élément figuratif et une intention pédagogique de l’auteur de cet Évangile ! Isaie donne la clé de l’interprétation : « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière ; sur les habitants du sombre pays, une lumière a resplendi… Car un enfant nous est né, un fils nous est donné, il a reçu l’empire sur les épaules… » (9:1-5) Le récit prend ainsi plus de sens indépendamment de l’apparition d’une comète ou de la conjonction de Jupiter et de Saturne. L’épisode des Mages se termine avec l’hommage rendu à l’enfant : Ils lui offrirent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe. L’auteur a sans doute puisée dans quelques réminiscences du prophète : « Tous ceux de Saba viendront, ils apporteront de l’or et de l’encens et publieront les louanges de Yahvé. » (Is. 60:6) Le détail des présents a ici moins d’importance que leur portée significative.
Le but de l’évangéliste en incluant l’épisode de la visite des Mages dans son Évangile de l’enfance était une réponse aux membres de sa communauté primitive, sans doute Juifs convertis qui se demandaient pourquoi si peu de leurs coreligionnaires avaient suivi le Christ. Le salut ne devait-il pas venir d’Israël ? Quel drame, quel aveuglement ! « Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reçu. » (Jn.1:11). Des païens sur d’insignifiantes données, un astre jusqu’alors demeuré inaperçu, signe de Dieu chez les anciens, se dérangent et viennent de loin. Les païens auraient-ils vu davantage qu’Israël ? Pour ces païens, un signe a bouleversé l’existence, un signe qu’ils ont gardé dans leur coeur pour le méditer et voir toute sa portée. Notre foi sera vraie si elle nous poussait un jour hors de nous-mêmes au lieu de demeurer pur savoir théorique.
Nous, nous restons enlisés dans nos idéologies, nos idées toutes faites et ce, depuis un bon moment. Au lieu de voir dans notre quotidien et le prochain une étoile susceptible de interpeller et nous pousser plus loin dans notre quête de Dieu. « Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais trouvé », écrivait saint Augustin dans ses Soliloques. D’aucun sont toujours « en état de recherche », façon élégante d’exprimer le doute, l’indifférence dans lesquels ils se sont plus ou moins installés pour justifier la liberté de n’adhérer à rien. D’autres cherchent toujours parce qu’ils n’ont pas encore trouvé. Ils s’informent, réfléchissent. Leur « gémissement », disait Pascal, ne laisse pas insensible le coeur de Dieu. Enfin, une troisième catégorie de chercheurs, ceux qui cherchent parce qu’ils ont trouvé et ayant trouvé, ils cherchent plus encore : tous ces croyants et croyantes à la foi vivante, conscients du caractère insondable de la Révélation. « La foi cherche l’intelligence », quelle définition plus belle et plus simple des chrétiens en quête de Dieu. Par delà les mots, c’est à la vie même de Dieu à laquelle ils adhèrent, leur foi cherche à acquérir une intelligence plus profonde plus vivante de son mystère. La foi et les signes des temps s’interrogent mutuellement. Aux problèmes nouveaux, la foi tente de trouver des réponses nouvelles en scrutant toujours davantage le coeur de la foi. Mais, c’est vers les choses de Dieu qu’elle s’oriente davantage.
Chercher à comprendre toute la tendresse de Dieu, dominer notre crainte de Dieu qui tend toujours à faire prévaloir la sévérité du juge sur la bonté infinie du Père. Libérer l’Esprit de Dieu qui veut pousser en nous ce cri : « Abba, Père ! », résumé de toute la révélation que Dieu nous a faite « en Christ » de son visage.
Chercher la volonté de Dieu. « Nous ne cessons de prier pour vous, écrivait Paul aux Colossiens (1,9-10) et de demander à Dieu qu’il vous fasse parvenir à la pleine connaissance de sa volonté en toute sagesse et intelligence spirituelle. Ainsi vous pourrez mener une vie digne du Seigneur et qui lui plaise en tout. » Et, dernière étape de la quête de Dieu, le chercher dans les autres. Aimer les autres tels qu’ils sont, comme le Christ nous aimés. Réalisme de l’amour et non plus le rêve d’un amour impossible, drame de toute désunion. « Alors que nous étions pécheurs, le Christ a donné sa vie pour nous. » (Rom. 5.8), « Quiconque aime connaît Dieu parce que Dieu est amour. » (1 Jn. 4:7)
«Cherchez Dieu et vous vivrez», (Amos 5;4), « Joie pour les cours qui cherchent Dieu ».
Tel sera l’astre que les mages de notre temps, ces chercheurs de Dieu poursuivront dans leur quotidien sur des chemins d’adoration, d’extase et d’amour