2006 s’en va, courbé sous le poids de sa vieillesse. Je regarde les blessures qu’il a subi tout au long de ses douze mois.
La guerre au Liban constitue sans doute sa plus grande souffrance. Même si l’Irak et le Pakistan ne laissent pas leur place quand il s’agit de conflits meurtriers, le Liban a traversé un été horrible. Dans un combat disproportionné et déraisonnable. La guerre est toujours déraisonnable.
Deux autres pays ont fait peur au cours de l’année : la Corée du Nord et l’Iran. Ils menacent leurs ennemis de les attaquer au nucléaire. Ou du moins, on s’imagine qu’ils peuvent attaquer. En médecine, on fait beaucoup de bien avec le nucléaire. Cette énergie est moins rassurante quand elle est utilisée dans la fabrication de bombes.
L’année est meurtrie aussi par des assassinats. Je pense en particulier à la mort tragique de la journaliste russe Anna Politkovskaïa. Le combat de cette femme exceptionnelle visait sans doute trop juste. Un autre russe l’a rejoint dans la mort : Alexandre Litvinenko. Décidément, en ce pays, on continue de bâillonner les gens qui en savent beaucoup. Le Liban a perdu le ministre Pierre Gemaiel dans un attentat.
Les caricatures de Mahomet ont soulevé les musulmans, ou du moins les plus radicaux d’entre eux : symbole des affrontements au nom de certaines formes de religion. Je demeure toujours étonné que la foi en un être supérieur ne favorise pas davantage la confiance dans le destin des humains. Quel que soit le nom qu’on lui attribue, Dieu ne peut être qu’amour et réconciliation. Comment se fait-il que des quêtes spirituelles peuvent sombrer dans le mépris, dans la haine? Mystère.
Et le Darfour, qui n’en finit plus de mourir dans la quasi indifférence mondiale. Nouveau Rwanda. Nouvelle Arménie. Quand l’être humain est une victime, il est souvent la victime d’un autre être humain.
Les derniers jours de l’année sont marqués par la condamnation à mort et l’exécution de Saddam Hussein. Je n’ai pas de sympathie pour cet homme sans respect pour la vie des autres. Il a été injuste, criminel. Mais je demeure convaincu que personne n’a le droit de condamner à mort, même les plus grands assassins. Par la peine de mort, on condamne des assassinats par un assassinat. La chose est illogique. 2006 restera sombre jusqu’à la dernière minute.
Cependant, des lumières embellissent l’année. Pensons à l’élection de Michèle Bachelet à la présidence du Chili. Il y a là un juste retournement de l’histoire. Il arrive, comme dans ce cas, que la justice a le dessus. Le choix de cette femme constitue un baume sur les plaies dont a souffert ce pays d’Amérique du Sud.
À travers le prix Nobel de la paix, le monde entier a pu rendre hommage à homme exceptionnel : Muhammad Yunus, l’inventeur du micro-crédit. Des pauvres doivent beaucoup à cet homme remarquable. Des pauvres, mais aussi l’ensemble de l’humanité. Nous avons là la preuve manifeste que le service des autres peut prendre le chemin souvent froid et rigide des finances et de l’économie.
L’année a connu le six milliardième citoyen de la planète. Il est quelque part sur la terre. On ne connaît pas son nom. Il ne sait pas lui-même qu’il occupe ce rang dans la caravane humaine. Ses parents sont sans doute heureux de sa présence. Mais cet enfant et tous les bébés qui sont nés au cours de l’année représentent le plus beau défi de l’humanité :créer de la vie, faire naître… La terre ressemble à un immense champ de bataille mais des enfants naissent. Ils sourient. Ils chantent. Ils ont confiance. Ils foncent dans la vie.
Ces naissances nous rappellent qu’il ne faut jamais baisser les bras. Ils nous disent que derrière chaque nuage, il y a toujours un soleil qui cherche à le traverser. Ces enfants nous renvoient à notre propre enfance. Ils nous invitent à retrouver ce brin de naïveté qui permet de dépasser le défaitisme et la morosité.
Le christianisme ne veut sans doute pas dire autre chose quand il nous présente Dieu sous les traits d’un enfant qui dort dans les bras de sa mère, sous l’œil attendri de pauvres bergers.