Parmi les psaumes du règne, le Ps 97 semble n’avoir rien de bien original puisqu’il a l’air d’une anthologie de citations de plusieurs autres psaumes (v. 1 Ps 96,10-11; v. 2 Ps 18,12; v. 3 Ps 18,9; v. 4 Ps 77,19; v. 5 Ps 50,6). Comme le psaume précédent (Ps 96 auquel il ressemble beaucoup, surtout dans sa deuxième partie) et les deux suivants (Ps 98–99), le Ps 97 célèbre la royauté de Yhwh. Les Ps 97 et 96 se ressemblent encore par leurs perspectives eschatologiques et universalistes. Mais ce qui différencie les deux poèmes c’est que la proclamation royale de Yhwh s’ouvre dans le Ps 97 par une grande théophanie montrant le Dieu du cosmos en guerre contre les idoles et leurs adorateurs. Le psaume décrit d’abord la venue du Seigneur puis ses effets. L’apparition de Yhwh assombrit à tel point les faux dieux que ceux qui les adorent sont confondus et les abandonnent. Même si l’auteur du Ps 97 n’est pas particulièrement original, il est donc loin d’être un simple copiste. Tous ces traits, surtout le strict monothéisme, suffisent à dater le psaume de la période postexilique.
Des structures assez semblables ont été proposées. Ainsi, on peut voir trois strophes : 1- théophanie cosmique (v. 1-6) : acclamation (v. 1); théophanie (v. 2-5); acclamation (v. 6); 2- condamnation des idoles et des idolâtres (v. 7-9) : Yhwh adoré par les dieux (v. 7); Sion s’en réjouit (v. 8); Yhwh domine les dieux (v. 9); 3- exaltation des fidèles (v. 10-12) : « fidèles, haïssez le mal » (v. 10); lumière et joie pour le juste (v. 11); « justes, réjouissez-vous » (v. 12). La première strophe (v. 1-6) décrit sous forme théophanique la venue du Seigneur roi et juge. Le reste du poème indique quel effet l’intervention de Dieu produit sur les vrais et sur les faux adorateurs. Le poème montre Yhwh exerçant une suprématie universelle non seulement ici-bas mais aussi là-haut, de sorte qu’on a deux volets en parallélisme synthétique. Le premier volet (v. 1-7) est cosmique et interpelle les dieux célestes tandis que le second volet (v. 8-12) restreint la perspective au peuple d’Israël et interpelle les fidèles dont la joie n’est plus cosmique mais nationale. Le premier volet est plus visuel (théophanie) tandis que le deuxième est plus auditif (parole). Le jugement suit cette logique : composante du trône divin dans le premier volet, il désigne les actes de Dieu dans le second, probablement la loi. Autrement dit, le parallélisme synthétique vise à exprimer à la fois l’extension de la royauté de Dieu et le sentiment de joie que partout elle doit susciter.
En hébreu, le psaume est orphelin, c’est-à-dire qu’il n’a pas de titre. Le v. 1 commence par une acclamation en parallélisme synonymique. La proclamation du règne de Dieu ouvre le psaume. Elle signifie que le règne de Dieu devient effectif. Il s’agit plus précisément de la défaite des ennemis et des oppresseurs d’Israël ainsi que du rétablissement de ses droits. À l’annonce de cette nouvelle, toute la terre tressaille de joie (Is 41,1.5; 42,4.10.12; Jr 31,10; Éz 27,3.15; So 2,11; Ps 72,10). Même les « îles lointaines » se réjouissent. Mentionnées ailleurs plusieurs fois, elles désignent les groupes humains les plus éloignés conviés au salut (Ps 40,15; 72,10; Is 41,15; 42,10.15; 49,1; 51,5; 60,9; 66,19; Éz 26,15.18).
Puis commence la théophanie (v. 2-5). Suivant plus ou moins le modèle de Ps 18,8-16; Ps 29; Ha 3, mais plus brève, sans doute évoque-t-elle surtout la théophanie du Sinaï (Ex 19,16-20). Rien ne manque pour rendre le tableau terrifiant; aussi la terre réagit comme une personne : elle voit et s’affole, tandis que les montagnes fondent comme de la cire devant le Seigneur qui vient. Cette description vise à inspirer au lecteur la crainte devant une action divine. La sobriété des descriptions ne risque pas de détourner l’attention. En effet, ce à quoi le lecteur est invité n’est pas un spectacle, mais une action divine. D’emblée, on discerne que la royauté de Yhwh réside fondamentalement en ce qu’il est le maître à la fois de la nature et des humains. Qui plus est, les éléments théophaniques ne relèvent pas tant du surnaturel, voire du spectaculaire ou du terrifiant, que de l’éthique. Ainsi, le trône de Yhwh n’est pas seulement nuages orageux mais surtout justice et droit. Les cieux ne s’agitent pas en tempête pour impressionner, mais pour annoncer la justice de Dieu qui intervient (v. 6). Dieu apparaît donc ici simultanément entouré de forces cosmiques et siégeant sur le monde moral. Cela signifie qu’en Dieu, la majesté se manifeste dans ses actes. La théophanie se termine par une acclamation qui monte de toute la terre et de tous les peuples, comme au v. 1. Le v. 6 comprend deux verbes qui expliquent la foi biblique : les cieux « proclament » la justice de Dieu et les peuples « voient sa gloire ». Ces deux compléments (« justice et gloire ») désignent les manifestations à la fois cosmiques et historiques de Dieu. Conclusion de la théophanie, les peuples comprennent que, du ciel, Yhwh est intervenu de façon souveraine dans le monde. Il s’impose aux hommes comme à la nature.
La deuxième partie (v. 7-12) est consacrée au retentissement de l’intervention de Yhwh en faveur d’Israël et insiste sur l’effet du changement dans l’ordre des choses d’ici-bas, à savoir le bonheur des bons et la déconvenue des impies. Pour le monde entier, c’est une ère nouvelle qui se lève, c’est le jour de Yhwh qui commence (v. 11). En effet, plus que dans les Ps 93 et 96, la perspective s’ouvre toute grande sur les temps à venir : le règne eschatologique de Yhwh entre dans sa phase de réalisation. Le jugement final est commencé! La nature domptée chante son maître et les idoles vaincues placent leurs peuples devant le jugement.
Sur la polémique contre les idoles, voir Is 44,17; 46,6; Ps 115,4-8; 135,15-18. À l’origine, le thème faisait référence à la défaite des dieux qui, comme on croyait, commandaient les armées et à leur hommage devant le trône du dieu vainqueur. Il est devenu ici une description de la défaite des idoles et de leurs adorateurs. Si les dieux doivent rendre hommage à Yhwh, combien plus les humains confondus qui s’inclinaient devant eux! Les faux dieux des peuples païens, qui viennent de trouver leur maître en Yhwh, sont contraints de l’avouer dans un hommage à leur vainqueur et sont forcés de confesser leur néant. De là sans doute le triple jeu de mots du psalmiste (en hébreu entre « vanités », « dieux » et « qui se vantent »). Le v. 7 (« tous les dieux ») a embarrassé plus d’un traducteur qui ont parfois préféré « adapter » la traduction en rendant « tous les anges », détruisant du coup l’argumentaire du psaume…
Au v. 8, tout autre est la réaction produite par l’événement sur les Israélites : allégresse devant la décision de salut prise par Yhwh en leur faveur. Les « filles de Juda » sont les villes du pays (cf. Ps 48,12). Tout Israël se réjouit de voir que les peuples de la terre reconnaissent et adorent Yhwh. Au v. 9, la domination de Yhwh sur les dieux païens assure la liberté d’Israël. Puisque, comme on a dit, le vainqueur contraignait les vaincus à adorer ses dieux qui s’étaient montrés plus puissants, le néant des dieux étrangers signifie la fin de l’esclavage d’Israël envers les divinités des conquérants et leurs prétentions.
La finale (v. 10-12) décrit en sept traits la figure des fidèles du Seigneur : 1- ils aiment le Seigneur car à l’amour de Dieu répond celui du croyant; 2- ils haïssent le mal car il y a incompatibilité entre Yhwh et le mal; 3- ils sont fidèles car à la fidélité de Dieu répond celle du croyant; 4- ils sont justes; 5- ils sont droits de cœur, expression d’une adhésion totale aux exigences de l’alliance; 6- ils sont joyeux; 7- ils célèbrent « sa mémoire de sainteté » en ce sens que le chant de reconnaissance qui monte vers Dieu a pour objet le mémorial des actions salvifiques de Dieu. Telle une aurore dissipant les ténèbres, c’est une ère nouvelle qui se lève, une ère qui, sous le signe de l’avantage pris par Yhwh sur les impies, procurera le bonheur à ses fidèles et exigera d’eux la reconnaissance pour le salut accordé. Cette union décisive entre Yhwh et son peuple atteint sa phase décisive et mérite d’être l’objet d’un mémorial à célébrer sans fin.
Le Ps 97 n’est jamais cité dans le Nouveau Testament, mais le thème de la royauté de Yhwh est proche de la proclamation du règne de Dieu par Jésus Christ surtout au début des évangiles (Mc 1,15//). On peut ajouter que le Christ est devenu roi par son mystère pascal.
Hervé Tremblay o.p.
Collège universitaire dominicain
Ottawa, ON