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Responsable de la chronique : Jacques Sylvestre, o.p.
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Pierre Claverie : Le livre de nos passages. La Bible.

Imprimer Par Jacques Sylvestre, o.p.

9782204100977_1_75Le 1er août 1996, Pierre Claverie, évêque d’Oran en Algérie, était assassiné. Dominicain, il avait toujours voulu être un homme allant au devant de l’autre. C’est de ce souci extrême, à l’instar des moines de Tibhirine, dont témoigne son ouvrage inédit, « Le Livre de nos passages ». Il y exprime magnifiquement sa quête vitale: « On ne possède pas la vérité, on ne possède pas Dieu, j’ai besoin de la vérité des autres ».

Qui était donc Pierre Claverie pour que sa disparition ait creusé un tel vide ? Pasteur assurément, mais aussi théologien et surtout un frère pour tous, tout enfant algérien qu’il fut. Parcourant les grandes figures bibliques de la Genèse à l’Apocalypse, Mgr Claverie dans « Le Livre de nos Passages » nous mène de l’Exode à la Terre promise, de l’esclavage à la liberté, de la mort à la vie, récapitulant tous les passages du Christ mort et ressuscité. « Le livre de nos passages », grand mémorial de la foi et d’espérance.

Malgré une fin brutale, la voix de Pierre Claverie ne s’est pas tue parce que le relais a été pris bien au-delà du diocèse d’Oran. Des frères dominicains ont mis en ordre ses écrits trouvés à l’évêché. Jean-Jacques Perennes, o.p. nous a laissé une éloquente biographie de l’évêque. Eric Gustavson a recueilli la correspondance entre Pierre et sa parenté. Sœur Anne-Catherine Meyer, moniale dominicaine, a retranscrit toute sa correspondance, sessions et retraites. La lecture de cet œuvre à laquelle je vous convie fera de nous aussi des passeurs d’espérance.

D’une vue d’ensemble des Saintes Écritures, la Bible, Pierre Claverie tient la révélation divine comme achevée avec la venue de Jésus Christ : « Je crois que l’Esprit divin est donné aux hommes pour qu’ils poursuivent l’œuvre de la création et la recréation entreprise par Jésus. Ainsi toute l’humanité est appelée à accueillir le règne de Dieu qui vient dans l’histoire et s’accomplit par et dans l’amour. Voilà ce que j’essaie de croire et de vivre. » Hélas, comme l’écrivait l’apôtre Jean en exorde de son évangile : «Il était dans le monde et le monde ne l’a pas connu…Il est venu vers les siens et les siens ne l’ont pas reçu ». (Jn.1.10)

Pour l’évêque d’Oran, la Bible, semble constituée d’une multitude de dialogues avec l’Invisible rendu présent et accessible parce qu’Il vient au devant de celui qui cherche par-delà les apparences, en un monde où tout et chacun devient présence et où la relation se substitue à la possession. Pour Pierre Claverie, la Bible est inspirée par cette mystérieuse relation entre l’homme et Quelqu’un. Les livres de la Bible ne sont pas seulement des documents narratifs ou législatifs hérités d’une histoire révolue. Dès leur rédaction, ils traduisent le choc d’une rencontre avec Quelqu’un dont on ne connaît pas encore le Nom mais dont on découvrira progressivement la présence dans les événements du parcours de l’histoire. « Ouvrir le Livre (la Bible), enseigne Pierre Claverie, « c’est se mettre en présence de Quelqu’un dont je crois, avec l’écrivain sacré, qu’il veut entrer dans ma vie aujourd’hui et me provoquer à accueillir sa parole.» C’est un passage. Ainsi la Bible peut devenir « Le livre des passages ». L’auteur de l’Épître aux Hébreux présente ainsi la continuité de la révélation (He.1.1-3) : « Après avoir, à maintes reprises et de moult façons parlé autrefois aux pères dans les prophètes, Dieu nous a parlé en son Fils, resplendissement de sa gloire et expression de son être. Il porte l’univers par la puissance de sa parole. »

Quelques réflexions de Pierre Claverie sur la parole méritent au préalable notre attention. « Écouter la parole, c’est entrer dans la vie à la manière du disciple des rabbins ou des prophètes, c’est s’attacher à son enseignement non seulement pour en analyser le contenu mais aussi pour le mettre en pratique. La parole de Dieu ne tombe pas du ciel ; parole intérieure, elle est proférée par un homme qu’elle a saisi et habité. Une expérience indicible devient pour le prophète signe communiqué dans un langage toujours impuissant à le rendre fidèlement. Les gestes viennent alors compléter ce que les mots ne parviennent pas à exprimer. (Jr. 18: 1-6) Parole et gestes transmettent bien plus qu’un discours. Ainsi toute la Bible devient « livre de nos passages ».

Personne n’a dicté aux auteurs sacrés ce qu’ils devaient écrire ; ils sont bien les auteurs et en portent l’entière responsabilité, interprétant les événements dont ils ont été les témoins et les transmettant chacun à sa manière. « En ouvrant le Livre, confie Pierre Claverie, je sais que je n’atteindrai Jésus que par la médiation de ces hommes et de ces communautés qu’il habite et inspire, qu’il a transformés par sa présence, et qui le parlent à leurs contemporains. En ce sens, Jésus est réellement une parole vivante, non par ce qu’il écrit, ni même d’abord par ce qu’il dit, mais bien et surtout par ce qu’il a été pour ceux qui l’ont rencontré, suivi et aimé. Sa présence devient alors pour « ses amis » signe efficace de l’action divine, elle s’imprime en eux et les habite et c’est à cette influence que nous devons les Écritures. »

Les premiers écrits chrétiens donnent bien le ton à ceux qui suivront, Évangiles, Actes, Lettres diverses, Apocalypse… Ils naissent dans un événement où se croisent une expérience personnelle renversante et la double intervention de la communauté des disciples du Christ et des Écritures. Ces trois éléments constituent la trame où s’inscrit la Révélation et ce qui les unifie, c’est la présence du Christ. Jésus se donne à connaître en faisant son entrée dans ma vie. Le choc initial peut être provoqué par la lecture des Écritures qui vient bouleverser les connaissances religieuses acquises et les convictions héritées. La connaissance s’approfondit dans ce va-et-vient entre l’expérience et la mémoire, l’expérience que les disciples-écrivains ont exprimée de diverses manières dans leur approche du mystère de la personne de Jésus. Chacun des livres s’appuie ainsi sur un élément historique particulier pour présenter l’action du Verbe de Dieu par les œuvres et les paroles de Jésus. Ces Écritures ne peuvent prendre vie que dans le corps où elles trouvent leur origine et dans lequel elles sont proclamées. En ouvrant mes livres, je pars à la découverte de Quelqu’un dont je crois qu’il s’est déjà rendu présent et qu’il accompagne mon histoire personnelle.

Mgr Pierre Claverie intitule la Bible dont il synthétise si généreusement le message : « Le livre des passages ». L’événement central, l’expérience- source autour de laquelle se structurent l’histoire et la mémoire religieuse d’Israël demeurent la sortie d’Égypte et le passage de la Mer rouge pour aller à la rencontre de Dieu au Sinaï . La Pâque qui commémore ce passage deviendra la clé du message de Jésus : « Sors… va… quitte tout, viens et suis-moi… » De Moïse à Abraham, puis à Jésus, la même injonction pousse au départ et ouvre la marche vers l’inaccessible, une Terre promise qui se dérobe inlassablement, car les promesses ne s’accomplissent que pour relancer la marche jusque dans la mort, ultime passage vers la rencontre. « Pour le chrétien, la Bible devient le prélude de cette symphonie inachevée dont nous poursuivons l’écriture, sans autre guide qu’une harmonie à respecter, une inspiration, un passage de la mort à la vie. » C’est dans cet esprit que Pierre Claverie présente en quelques chapitres sa lecture de la Bible, « Livre des passages ».

Ces « passages » décrits par l’auteur sont avant tout l’exode d’Abraham qui rejoint le mouvement de la vie et de la naissance à l’ultime passage. D’arrachement en arrachement, la vie nait, grandit et se déploie Chaque départ est comme une mort, un saut dans l’inconnu.

Puis vient Moise, le « passeur de frontière », le passage de la mer rouge vers la liberté. Au désert, lieu privilégié des expériences fondatrices, on apprend à passer de l’absence à la présence. L’histoire, le lieu de la rencontre, de l’expérience spirituelle, de la révélation.

Dans un troisième « passage », Mgr Claverie écrit : « Lire la Bible pour moi, ne consiste pas à chercher autre chose que Dieu même qui s’y donne à connaître et à rencontrer. La Bible me dit comment il m’est possible d’entendre Dieu, de l’accueillir et d’entrer en dialogue avec Lui. »

Dans la suite des « passages » apparaissent les évangélistes et leur Évangile. Qu’il soit signé de Marc, Matthieu, Luc ou Jean, l’Évangile est avant tout un événement: la venue de Jésus. Les quatre Évangiles, sans oublier les lettres apostoliques, manifestent par leur multiplicité qu’ils représentent des versions élaborées à partir d’un message unique : Christ est ressuscité. Les Écritures, écrit Pierre Claverie, naissent en charnière entre la présence de Jésus et son absence, entre la réalisation attendue et retardée d’une promesse qui ne saurait tromper car elle a été accomplie en Jésus. » « Le temps chrétien, disait le père Congar o.p, se déroule entre un « déjà-là » et un « pas-encore ». L’écriture naît de cette ouverture sur le passé et l’à-venir pour donner sens au présent en l’habitant de sa présence. Les livres de la Bible deviennent comme le sacrement de la présence du Christ à son peuple.

Pierre Claverie de conclure avec le prophète Jérémie : « Plus qu’une science, une morale, une dogmatique ou un rituel, les Écritures portent en elles le pouvoir de faire passer de la loi écrite à la grâce qui transforme les cœurs de pierre en cœur de chair .» (Jr. 31.33)

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Pierre Claverie. Le livre de nos passages. La Bible.Cerf, 2014.

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