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Responsable de la chronique : Nicolas Burle, o.p.
Méditation chrétienne

Le Verbe se condense

Imprimer Par Hans Urs Von Balthasar

baltasarHans Urs Von Balthasar, né à Lucerne (Suisse) le 12 août 1905 et décédé à Bâle (Suisse) le 26 juin 1988, est un prêtre catholique suisse du diocèse de Coire. Jésuite de 1928 à 1950 et théologien de grand renom. “Homme le plus cultivé de son temps” selon le mot du Cardinal de Lubac. Fasciné par la philosophie, la littérature, l’art et la musique, il est aussi un grand poète mystique cherchant à placer au coeur de son oeuvre théologique beauté, bonté et vérité. “La croix du Christ, par laquelle Dieu se charge de toute la douleur des hommes, rend digne de foi le Dieu vivant. Le Christ en croix n’est plus une parole, c’est un acte silencieux : ce que saint Paul appelle la folie de Dieu.”

 

“Ho logos pachynetai” : la formule se retrouve d’un bout à l’autre de la patristique grecque. Le Verbe divin, qui, en soi, est de par sa nature spirituelle présent dans tout l’univers qui baigne en lui, épouse en se faisant homme une figure limitée, condensée, imperméable. Mais si, pour notre salut, il prend un corps et s’enfonce radicalement dans l’opaque et le dense, ne faudrait-il pas que l’intelligence spirituelle des chrétiens le fasse remonter à son état originel en le résolvant dans l’Esprit ? Une vision chrétienne plénière complétera cette version unilatérale, spiritualiste, en y ajoutant deux autres considérations.

D’une part, le chrétien doit accompagner le Verbe de Dieu dans ses deux mouvements : il doit condenser et concrétiser le spirituel en l’incarnant authentiquement, et changer la chair en esprit en comprenant plus profondément le sens de l’incarnation. Et d’autre part, pour que cela soit possible, il faut concevoir — idée chère en particulier à Grégoire de Nysse — que la chair du Verbe incarné, une fois ressuscitée, est libérée des limites où elle se condensait pour être « mélangée » à l’infinité divine, sans bien sûr perdre son humanité

(…) Ainsi, la concentration de la faute sur l’unique « corps qui porte les péchés » (ho logos pachynetai; cf. Jean 1,29 ; 2 Corinthiens 5,14.21 ; Galates 3,13 ; Ephésiens 2,14-16) est en même temps l’extension à l’universel de cet homme unique, exemplaire et « dernier » (cf. 1 Corinthiens 15,45s.) ; ainsi, sa résurrection signifie aussi bien l’inversion que la suite logique de ce qui a été commencé dans l’Incarnation et dans la Passion : Celui qui « a puissance sur toute chair » (Jean 17,2), la puissance de tout assumer en soi, a maintenant la puissance correspondante de se donner à tout ce qu’il a représenté, dans une eucharistie à laquelle aucune limite n’est fixée, ni par l’existence personnelle de Jésus « au ciel » après la Résurrection, ni par la transfiguration de toute la Création après la Parousie, car le Fils de Dieu fait homme est pour l’éternité la médiation eucharistique à travers laquelle nous pourrons avoir part à la vie trinitaire de Dieu.

Dans la mesure où cette médiation se communique à nous comme quelque chose de suprêmement concret — Jésus en chair et en os —, elle se donne à nous en même temps comme ce qui nous est le plus familier, comme ce qu’il y a de plus élémentaire dans le fait d’être homme, comme ce qui est l’objet de notre plus ardente nostalgie, comme un style d’humanité qui ne constitue plus un écran fini devant l’infini, qu’il faudrait percer pour atteindre ce dernier, mais qui est « le chemin », « la porte » unique (Jean 14,6 ; 20,7), et comme une humanité que sa sainteté ne sépare pas éternellement de notre condition pécheresse, mais où, parce que c’est notre péché qu’elle a porté nous voyons les traces des clous de ses mains et de ses pieds, et sa plaie au côté, est fournie la preuve que justement dans ces blessures, nous sommes à l’abri, chez nous pour toujours. Nous ne pourrons dire que ceci : l’ultime eucharistie du Fils après la Parousie, aux « noces de l’agneau » (Apocalypse 19,7), sera un acte d’engendrement et de don de soi in-fini sous tous les rapports, car, à ce moment-là seulement, la fiancée Eglise sera définitivement devenue « épouse de l’agneau » (ibid. 21,9).

En attendant, l’eucharistie reste liée au régime sacramentel valable à l’intérieur du temps ; non pas (comme on l’a souvent cru) parce que Jésus aurait à surmonter une distance entre son existence céleste et la manière dont il se rend présent sur terre ; mais parce que nous-mêmes, dans notre existence temporelle, nous avons besoin que nous soient alloués des « temps forts », des événements qui taillent pour ainsi dire dans l’écoulement continu du temps des encoches où notre pied puisse s’appuyer dans sa marche vers l’éternité. Il serait stupide et ingrat envers Dieu de vouloir aller au-delà de cette « économie », par exemple parce que le Christ, simplement comme homme transfiguré, serait déjà sans elle présent partout et qu’on pourrait se passer d’une présence eucharistique « particulière ». Autant dire qu’on pourrait se passer d’une absolution sacramentelle, parce que l’absolution est déjà universelle à partir de la Croix ou du baptême, voire parce que la grâce du Christ se rend présente pour tout homme, même non baptisé (de façon « transcendantale »), etc.

 

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