Nous voici rendus aux derniers jours d’octobre, aux dernières heures même. Je me trouve à Rimouski où j’anime une session sur les funérailles. Par coïncidence, mes engagements se présentent comme une sorte de préambule au mois de novembre, le mois des morts.
Dans une session sur les funérailles, il faut parler de la mort, dirait La Palice. Évidente, mais évidence de ce qui n’est pas évident.
Qui peut parler vraiment de la mort. Moi qui suis encore en santé, je peux théoriser sur le sujet. Mais ma réflexion ne dépasse pas les hypothèses. Tout au plus, je puis palabrer sur l’impact de la mort des autres dans mon existence. Je puis étaler mes déchirures. Je puis décrire le cheminement progressif de mes deuils. Mais qu’ai-je vraiment perçu de la mort? Et surtout de ma mort?
Quelques jours avant sa mort, mon père m’avouait sa curiosité: «Je me demande comment cela va se passer». À deux pas de la chute fatale, une question, une simple curiosité. Sa nervosité relevait de la curiosité et non de la peur. J’aimerais vivre moi aussi mes dernières heures dans la curiosité plutôt que la peur.
Mais la peur rôde autour de la mort. la mienne, la vôtre, celle des autres: toute mort nous fait peur.
Et la société fait tout pour ignorer la mort. elle l’a même transformée en absence. On ne meurt plus, on part, on s’absente. Vous pouvez laisser la porte ouverte, il n’est qu’absent!
L’absence de la mort dans le paysage d’aujourd’hui est la tragédie la plus vive que nos contemporains traversent. Plus dramatique que le terrorisme, pire que les atrocités inhumaines que nous nous faisons subir.
Le regard que nous portons sur la mort ou le refus que nous opposons à la mort révèle le regard que nous portons sur la vie, sur notre vie. L’attitude que nous avons devant la mort conditionne l’attitude que nous avons devant la vie. La fin de notre existence marque le présent que nous traversons.
Nos ancêtres devinaient cela sans doute quand ils priaient: «De la mort imprévue, délivre-nous, Seigneur.» Ils tenaient à regarder la bête noire en face. Ils voulaient l’apprivoiser, s’en faire presque une amie. Rien de lugubre dans ce désir, aucun goût de l’horreur. Avant tout, la quête de la liberté.
La peur devant la mort paralyse la vie. Elle développe des précautions qui enchaînent. Elle éteint toute créativité, toute audace, tout courage. Nos ancêtres se voulaient libres. Ils souhaitaient donc assumer l’inévitable dans la sérénité. Ils avaient compris instinctivement, bien avant les données de la psychologie d’aujourd’hui, que la mort est une étape de notre vie, une étape de maturité.
Quelle que soit la saison que nous traversions, que nous soyons encore dans l’été de notre existence ou que nous nous retrouvions au mois de novembre de notre séjour sur terre, la mort nous habite. Nous naissons avec elle, enfouie au fond de notre être. Elle et nous, nous sommes des colocataires, du début jusqu’à la fin. Aussi bien apprendre à partager la maison avec elle plutôt que de nous barricader dans la cuisine ou la chambre à coucher.