La Pologne est une terre fertile pour les cinéastes talentueux, comme Wajda (L’HOMME DE MARBRE) et Kieslowski (TROIS COULEURS). Plus près de nous, deux réalisateurs de la même nationalité poursuivent leur remarquable trajectoire avec leur plus récente production. D’abord Pawel Pawlikowski éblouit dans IDA, un film émouvant et inventif dans le sillon du génocide juif en Europe centrale; puis Roman Polanski fascine dans LA VÉNUS À LA FOURRURE, un huis clos flamboyant sur la rencontre de deux personnages tourmentés.
IDA
Renouant avec ses origines, Pawel Pawlikowski réalise son plus grand film à ce jour. Le cinéaste propose en effet un récit absolument bouleversant sur l’identité et les blessures morales causées par la guerre. Brillante, cohérente et épurée, la mise en scène déroule une suite de plans fixes baignant dans un noir et blanc d’une grande beauté, lesquels évoquent le cinéma des années 1960, en particulier celui d’Ingmar Bergman.
Pologne, 1962. Anna, orpheline de 18 ans, se destine à la vie religieuse. Avant la prononciation des vœux, la mère supérieure conseille à la jeune fille d’aller rencontrer Wanda, une tante dont elle ignorait jusque-là l’existence. Cette juge alcoolique, dopée à la doctrine communiste, révèle à Anna que son véritable nom est Ida, qu’elle est d’origine juive et que ses parents sont morts pendant la Deuxième Guerre mondiale.
Sur l’insistance de la novice soucieuse de connaître le lieu où ces derniers ont été inhumés, Wanda accepte de la conduire jusqu’à la ferme où elle se cachait avec eux avant leur disparition. Sur la route, les voyageuses croisent Lis, un jeune musicien séduit par la beauté d’Ida.
L’incontestable réussite du film appartient entre autres à deux actrices au profil différent mais unies dans une même intensité déchirante. L’inexpérience de la jeune Agata Trzebuchowska ajoute au charme de son jeu, tandis que la solide Agata Kulesza, dans le rôle de la magistrate abrasive, oscille admirablement entre colère et désespoir.
LA VÉNUS À LA FOURRURE
Dans cette brillante adaptation de la pièce de David Ives, Roman Polanski (CHINATOWN, L’ÉCRIVAIN FANTÔME, CARNAGE) aborde plusieurs de ses thèmes de prédilection – l’emprise, la perversion, l’humiliation – avec l’inspiration de celui qui s’y attache pour la première fois.
Thomas a passé la journée dans un théâtre parisien défraîchi à auditionner, en vain, des dizaines d’actrices en prévision de sa production de « La Vénus à la fourrure », qu’il a lui-même tirée d’un roman érotique autrichien. Découragé, le metteur en scène s’apprête à quitter les lieux lorsque déboule Vanda, une candidate de la onzième heure. Vulgaire, sans-gêne et ignorante, l’actrice plaide sa cause et finit par obtenir qu’il lui fasse passer l’audition et lui donne la réplique.
À la grande surprise de Thomas, Vanda se transforme sous ses yeux en une héroïne séduisante et complexe, incarnation idéale du personnage auquel il rêve de donner vie. Dès lors, l’homme attendu à la maison par sa fiancée tombe sous l’emprise de cette mystérieuse inconnue qui, connaissant le texte de la pièce par cœur, l’entraîne dans un périlleux jeu de rôles et de séduction.
En grande forme, le cinéaste donne du volume à son vase clos, au moyen d’une mise en scène et d’un montage souples et bluffants, exploitant toutes les possibilités du champs/contrechamps. Jeu de rôles, jeu de miroirs, LA VÉNUS À LA FOURRURE révèle en se dépliant une multitude de couches de sens, qui débordent avec une savoureuse ironie dans le champ privé de son auteur.
Ainsi, certains y verront une critique de l’objectification des femmes ou le mea culpa d’un don juan « borderline ». D’autres, l’illustration des mécanismes de la séduction ou la vengeance fantasmée d’une muse incomprise. Parlant d’Emmanuelle Seigner, celle-ci brille de tous ses feux dans le rôle (son meilleur en carrière) d’une fausse agnelle à l’assaut d’un loup misogyne. Ce dernier est du reste très bien défendu par le faux (ou le vrai) alter ego de Polanski, Mathieu Amalric.
Gilles Leblanc