À table les enfants!
Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie. » Les Juifs discutaient entre eux : « Comment cet homme-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » Jésus leur dit alors : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n’aurez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi je demeure en lui. De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même aussi celui qui me mangera vivra par moi. Tel est le pain qui descend du ciel : il n’est pas comme celui que vos pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement. »
Commentaire :
Nos églises se vident progressivement. Malgré tous les efforts de renouveau liturgique, les résultats demeurent quelconques. Heureusement qu’on ne demande pas : « Pourquoi allez-vous à la messe le dimanche ? » Que saurions-nous répondre ? Cet extrait du chapitre 6e de Jean constitue-t-il vraiment un discours sur l’Eucharistie ? Le contexte de nos célébrations avec le témoignage qu’elles apportent ne risquerait-il pas de dévaloriser tout ce chapitre de Jean ? Une messe, résumé ou presque de notre engagement chrétien ? Nos communions qui, loin de nous rassembler, nous isolent dans un acte de dévotion personnelle ? Et la geste présidentielle du célébrant à l’autel, sujet controversé et fortement critiquée.
Dans son introduction, l’auteur du 4e évangile écrit : « Et le Verbe s’est fait chair », la parole est devenue chair. Pourquoi ne pas retenir ce sens pour la lecture de l’évangile de Jean et particulièrement du chapitre 6e ? Pareille lecture nous éloignerait-elle de l’Eucharistie ? Combien satisfont leur dévotion à l’Eucharistie quotidiennement sans pour autant apporter une attention soutenue à la Parole fait chair ?
L’évangile de Jean constitue en sa totalité un enseignement pour la foi. L’Église primitive devait sans doute vivre une remise en question de ses croyances. La première épître de Jean en est témoin. Il devient évident que cette communauté naissante vivait en pleine crise de foi et semblait secouée par les erreurs, voire les hérésies. L’Antéchrist était aux portes, et déjà, il faisait des siennes. Et lisant attentivement cette première lettre, nous ne pouvons que nous rendre à cette évidence : Jean tente de réveiller la foi des siens, c’est-à-dire leur adhésion à la personne de Jésus, Parole faite chair. « L’engagement chrétien, écrivait Benoît XVI dans son encyclique, repose sur la rencontre d’une personne. »
L’introduction à l’évangile présente sans discussion possible toute la pensée de l’évangéliste. Pourquoi l’auteur, qui ne dit mot de l’institution de l’Eucharistie au soir de la Cène, se serait-il permis tout un discours sur le sujet alors que l’intensité du passage porte sur la foi en la Parole qu’est Jésus. Il serait tellement plus éloquent de voir la réalité incarnée de Jésus, Parole de Dieu fait chair, dans l’utilisation des termes « chair» et les expressions « pain », « breuvage », « nourriture » plus le symbole de la faim et du rassasiement dont cette « Parole faite chair » peut être l’objet. L’occasion de la multiplication des pains et l’assaut des foules qui veulent le faire roi était belle pour descendre sur le terrain de la faim, de la nourriture, du breuvage. On se rappelle l’évocation de la Samaritaine et de l’eau vive symbolisant la Parole. Cette fois, c’est le pain vivant descendu du ciel, la Parole devenue chair, qui doit retenir l’attention, plus que l’Eucharistie.
« Qui mange… qui boit…» Serait-il possible de substituer à ces expressions une réalité qui dise davantage plus parfaite rencontre avec Dieu. Il est tellement facile de résumer notre relation avec Dieu dans une communion eucharistique susceptible d’être assaisonnée à toutes les sauces, alors que la Parole possède un sens précis, une réalité dont Jésus veut nous trouver avides et rassasiés, parce qu’elle est vie, lumière, eau vive et pain. Cette grâce ne s’incarne pas dans un quelconque bouquin tel la Bible, mais dans la réalité concrète que fut l’existence humaine et terrestre du Fils de Dieu, sa vie incarnée de « Verbe fait chair ».
L’effort pour relire le passage dans cette optique donnera des fruits palpables à n’en point douter. Nul ne pourra demeurer indifférent à cette traduction d’un passage du discours habituellement interprété en termes d’Eucharistie. On perçoit aussitôt qu’il ne peut être question d’une audition quelconque de la Parole, mais d’une faim de cette parole fait chair et d’un rassasiement. Si la parole atteint son plus haut niveau d’éloquence sur la croix : « Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi », c’est que par sa mort, le Christ a illustré la vérité et l’intensité de sa Parole faite chair : « Nul n’a plus d’amour que celui qui donne sa vie »…
Quelle invitation pressante nous lance le Seigneur : « À table, les enfants ! » La table de sa Parole, devenu pain vivant.