Noé, de Darren Aronofsky
Noé, blockbuster écolo
Emprunté au vocabulaire militaire, le mot blockbuster (casseur de quartier) caractérise les films calibrés pour la masse et mettant en scène des destructions de masses. Noé est le dernier rejeton d’une lignée de blockbusters aux branches multiples. Sorte de Titanic inversé, où l’humanité engloutie entraîne le monde sous le poids de ses péchés, le film de Darren Aronofsky appartient à la famille des films catastrophe. C’est un cousin des films apocalyptiques, comme Independence Day ou Le Jour d’après, mais son créateur, contrairement à Roland Emmerich, vient du film d’auteur. En renouant, par ailleurs, avec la veine ancestrale des péplums bibliques, Noé ne fait que s’inscrire dans la mouvance actuelle des blockbusters fondés sur la prédation d’une histoire préexistante célèbre : en l’occurrence, un épisode du récit biblique des origines, commun aux trois monothéismes.
Le film débute cependant par cette phrase « Au commencement, il n’y avait rien », détournement révélateur des premiers mots de la Genèse par son réalisateur athée. Car en fait Noé appartient surtout au genre heroic fantasy : on y retrouve la violence, le souffle épique et les univers de synthèse de la saga du Seigneur des anneaux ou de la série Game of Thrones ; d’où le choix de l’imposant Russel Crowe (15 ans après Gladiator) pour incarner Noé.
Le scénario s’inspire du récit biblique… et s’en écarte allègrement. Pour avoir ses personnages types, il convoque Mathusalem en magicien/mentor (Anthony Hopkins) et Tubal-Caïn (descendant du premier fratricide) en ennemi principal. Pour développer une intrigue conflictuelle au sein de la famille survivante, les démiurges hollywoodiens ont décrété que les trois fils de Noé n’embarqueront qu’avec une seule jeune femme (Emma Watson, toujours inapte à transmettre une émotion), stérile qui plus est ! Et alors que dans le récit biblique, la communication entre Dieu et Noé est directe et les messages divins très clairs, le héros se fourvoie ici dans des interprétations de la volonté divine qui génèrent des conflits avec sa famille, notamment avec sa femme (Jennifer Connelly, devenue trop lisse pour ce rôle). L’action de Noé est aussi moins décisive dans le film : pour construire l’arche, il se fait aider par des géants (des anges déchus) et les animaux arrivent ensuite d’eux-mêmes, par paires.
Autre changement révélateur : l’adresse finale de Dieu aux élus survivants – « Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre » – est mise dans la bouche du patriarche à l’attention de ses enfants. Enfin et surtout, le message de l’Alliance divine n’est pas explicité, alors que c’était l’apport singulier d’Israël aux récits mésopotamiens du déluge. Finalement le film d’Aronofsky est une fable écologiste où le descendant d’Adam a pour mission de garder respectueusement la Création.
Si l’on n’est pas rebuté par cette lecture, par les chromos de certaines séquences, par des dialogues parfois un peu plats, Noé est un casseur de quartier vraiment divertissant. Et après tout, cet obus filmique tombe à pic pour nous rappeler la prière de bénédiction de l’eau, entendue récemment lors de la veillée pascale, à l’issue de la période de Carême (40 jours, comme le déluge) : « Par les flots du déluge, Tu annonçais le baptême qui fait renaître, puisque l’eau y préfigurait à la fois la fin de tout péché et le début de toute justice. »
Apprenti Gigolo, de John Turturro
Une comédie à la Allen
Après le film biblique allégé, l’actualité cinématographique nous offre un autre film Canada Dry : Apprenti Gigolo, de John Turturro. Ça ressemble à un Woody Allen, c’est avec W. A., c’est (presque) aussi drôle qu’un W. A., mais ce n’est pas un W. A.
A Brooklyn, deux amis, le juif Schwartz (W. Allen), libraire forcé de fermer boutique, et l’Italien Fioravante (J. Turturro, subtil), fleuriste à mi-temps, ont du mal à assurer leurs fins de mois. A la suite d’une conversation avec sa dermatologue en quête de nouvelles sensations (Sharon Stone, accorte cougar), Schwartz convainc le timide et solitaire Fioravante de devenir, sous sa houlette, un escort boy.
Quelques scrupules plus tard – habilement évaporés par le vieux mac amateur « de vodka qui ne reste pas sur l’haleine » – et les voilà embarqués, sous les noms de Bango (to bang = baiser) et Virgil, dans une association fructueuse. Virgil se révèle en effet un amant très apprécié… pour ses qualités d’écoute et sa réserve : « Hard to reach : that makes you so good », dit la dermato qui a du mal à le partager avec sa copine dévoreuse (Sofia Vergara, bomba latina).
Lorsque Bango rencontre Avigal (Vanessa Paradis, lumineuse), une veuve hassidique jamais touchée par son rabbin de mari après 18 ans de vie commune et six enfants, il va évidemment vouloir la confier aux bons soins de Virgil. Et la comédie de doucement dériver vers la comédie romantique, conformément au titre original – Fading Gigolo (qui s’étiole) – et à la patte de Turturro, dont le premier film réalisé il y a 22 ans était… Mac !
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1. Dont le premier film est Le Principe de l’Arche de Noé.
2. A son actif, Pi, The Wrestler, Black Swan.
3. « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. »
4. Dont les plus connus sont représentés par la neuvième tablette de l’épopée de Gilgamesh et par celle du mythe d’Atrahasis.
5. Le Qatar, Bahreïn, les Emirats Arabes Unis et l’Indonésie interdisent le film qui « représente un prophète ».
6. Femme d’âge mûr, entretenant des relations avec des hommes plus jeunes. (n.d.l.r.)
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Cette chronique est présentée en collaboration avec la revue Choisir, une revue culturelle ouverte et d’inspiration chrétienne de la Suisse Romande.