Signes et apparences
Ce même soir, le premier jour de la semaine, les disciples avaient verrouillé les portes du lieu où ils étaient, car ils avaient peur des Juifs. Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Il leur dit : « La paix soit avec vous ! » Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur. Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Ayant ainsi parlé, il répandit sur eux son souffle et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis ; tout homme à qui vous maintiendrez ses péchés, ils lui seront maintenus. » Or, l’un des Douze, Thomas (dont le nom signifie : Jumeau) n’était pas avec eux quand Jésus était venu. Les autres disciples lui disaient : « Nous avons vu le Seigneur ! » Mais il leur déclara : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt à l’endroit des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! » Huit jours plus tard, les disciples se trouvaient de nouveau dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vient, alors que les portes étaient verrouillées, et il était là au milieu d’eux. Il dit : « La paix soit avec vous ! » Puis il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse d’être incrédule, sois croyant. » Thomas lui dit alors : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Jésus lui dit : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. » 1l y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas mis par écrit dans ce livre. Mais ceux-là y ont été mis afin que vous croyiez que Jésus est le Messie, le Fils de Dieu, et afin que, par votre foi, vous ayez la vie en son nom.
Commentaire :
De saint Jean à Benoit XVI, quelle similitude, quelle pensée commune ! Le pape parle de l’amour comme d’une expérience intérieure susceptible de nous faire connaître Dieu. Un parallèle avec l’apparition du Christ ressuscité à Marie Madeleine au matin de la résurrection (Jn. 20,11-18 et Mt. 28, 9+), nous permettra de mieux comprendre l’opportunité de l’expérience physique et de la sensibilité humaine dans la démarche de foi spirituelle. La confession de foi de Thomas était rapportée à l’intention de tous ceux qui n’ont pas vu mais qui ont cru, chrétiens de la première génération. (20,29). Cette expérience physique semble importante si l’on en juge par ce chapitre 20 de Jean : le disciple bien-aimé croit en voyant le tombeau vide, le suaire et les bandelettes; Marie Madeleine croit en entendant la voix du Maître qui prononce son nom; Thomas croit lorsque il place son doigt dans les plaies de Jésus ressuscité.
Thomas, quelle personnalité remarquable ! Impressionnable, mais non moins généreux et loyal à son Maître. Rappelons sa réaction à l’annonce de la mort de Lazare, ami de Jésus : « Allons nous aussi et mourons avec lui » (Jn.11.16). Thomas demeurera pour les siècles à venir l’homme qui doute. Il porte sur ses épaules l’attitude de tous les apôtres qui eux aussi ont douté mais dont Jean ne parle guères. Mais à travers le doute de Thomas, l’évangéliste Jean trace les balises d’un cheminement qui va de l’expérience sensible à la foi pour toute l’Église et son avenir. « Toi, tu as cru parce que tu as vu », et le Seigneur d’ajouter : « Bienheureux ceux qui croient sans voir ». Thomas refusait de croire dans le témoignage de ses frères : « Si, moi, je ne vois pas… je ne croirai pas ». Qu’importe leur enthousiasme, seule l’évidence des faits attisera sa foi !
« La paix soit avec vous », dit le Seigneur entrant dans la maison alors qu les portes étaient closes. C’est là que nous allons atteindre au sommet du 4e évangile : la confession de la divinité du Christ : « Mon Seigneur et mon Dieu » s’exclamera Thomas. La foi chrétienne naît de la rencontre de l’expérience du Christ. « À l’origine du fait chrétien, écrit Benoit XVI, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation définitive » (Deus caritas est » : lettre encyclique 25/12/05) Tout témoignage de foi prend son envol d’un fait historique qu’il est possible de constater par soi-même ou par le témoignage de témoins crédibles. Le Christ de la foi implique le Jésus de l’histoire. Tout l’évangile de Jean comme témoignage prend ferme appui dans l’histoire.
La conclusion de ce chapitre 20e de l’évangile de Jean couronne bien ce témoignage authentifié par des faits : « Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits et qui ne sont pas rapportés dans ce livre. Ceux-là ont été mis afin que vous croyez »… Le but de l’écrivain du 4e évangile était de ranimer la foi vacillante des croyants de la fin du siècle. Il a choisi parmi les faits et gestes de Jésus les plus susceptibles de ranimer et fonder la foi des nouveaux venus au Christ. C’étaient des signes d’une réalité autre que les apparences : ils signifiaient, comme dit Marc, l’autorité, la puissance du Seigneur venu établir son Règne de paix, de justice et d’amour et les exigences soutenues par la grâce.
La grâce perfectionne la nature, ne la supprime pas ou l’outrepasse. Saint Thomas d’Aquin, théologien dominicain, enseignait : « Rien dans l’intelligence qui ne passe avant tout par les sens ». Jean l’évangéliste pouvait écrire : Rien dans la foi qui ne procède d’une expérience sensible. Il en précise l’expérience par l’exemple de Marie Madeleine, de Thomas et de sa propre expérience. Il le signifiera d’une façon très concrète lorsqu’il écrira : « Dieu est amour. Quiconque aime connaît Dieu ; quiconque n’aime pas n’a pas connu Dieu parce que Dieu est amour» (1 Jn. 3.18). C’est là tout l’enseignement de la première encyclique de Benoit XVI : « Dieu est amour ».)