Paradoxalement, les amoureux nuageux, les amoureux d’outre-monde qui semblent égarés dans le quotidien sont peut-être plus réalistes que les blasés, les malins, ceux qui vivent sans recul. Et cela, parce qu’il y a en leurs yeux quelque chose du Créateur. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, le couple n’est donc pas le plus mauvais observatoire de la réalité humaine! Peut-être est-il constitutionnellement plus apte que bien d’autres situations à faire percevoir ce devoir de tout homme de faire réussir la création, en lui-même et autour de lui.
S’il est inévitable que, dans un premier temps, le couple se referme sur lui-même pour constituer une réalité autonome, il ne doit pas tarder à retrouver le chemin d’autrui. Sauf dans les romans à quatre sous, s’aimer, ce n’est pas vivre un rêve à deux, à l’abri du monde et de ses problèmes. C’est une aventure commune. Ce qui compte, c’est ce qu’on rêve et ce qu’on réalise ensemble, ce dont on se sent responsable ensemble. Car désormais, on est deux pour entendre et analyser les appels du monde alentour et s’efforcer d’y répondre avec réalisme et un courage chaque jour renouvelé. Les engagements –syndicaux, politiques, professionnels, éducatifs…- de l’un ou de l’autre, loin de menacer l’amour des conjoints, l’expriment aux yeux du monde. Ils constituent leur réponse commune aux multiples sollicitations qu’ils ont perçues.
Si leur bonheur conjugal est créateur, cela implique non seulement qu’il transmet la vie et qu’il aide les époux à réussir leur propre existence l’un par l’autre, l’un grâce à l’autre, cela signifie aussi qu’il les invite à faire réussir la société. Ce n’est pas seulement la nature végétale, minérale, animale que le Créateur confie à la sollicitude de l’homme, mais d’abord la «famille humaine». La philanthropie est au moins aussi importante que l’écologie!
Or, dans un bel amour, il y a une telle richesse, une telle puissance de joie et de création qu’il déborde tout naturellement à la rencontre des autres. Comme tel, il apparaît une fois encore à l’image de cet amour de Dieu, dont on disait jadis qu’il était «diffusif», c’est-à-dire qu’il est dans sa nature de se répandre et de se communiquer. Un foyer – belle expression aussi brûlante qu’alleluia rempli d’ailes – un foyer, donc, n’est pas fait pour se réchauffer lui-même mais pour accueillir tous ceux qui claquent des dents alentour.