La prison d’Abou Ghraib refait surface à peine deux ans après la révélation des monstruosités commises sur des détenus irakiens. De nouvelles images de l’horreur ont été présentées par une télévision australienne. Cette révélation a de quoi troubler quiconque possède un minimum d’humanité. La violence ne peut pas laisser indifférent. Le porte-parole du secrétaire général des Nations Unies, monsieur Stephane Dujarric commente: «Toutes ces photos sont profondément troublantes et nous espérons qu’elles feront l’objet d’une enquête dès que possible.»
Il y a quelques jours, d’autres images nous parvenaient de cette fichue guerre en Iraq. On voyait des soldats de l’armée britannique tabasser des adolescents. Des propos haineux de la part du caméraman accompagnait ce film d’horreur.
Les deux affaires sont d’autant plus choquantes qu’elles ont pour auteurs des militaires appartenant à des pays qui se disent civilisés. Elle vient de deux peuples qui prônent le respect des droits humains et qui placent la personne humaine au-dessus de tout.
Des actions semblables se sont produites durant les deux grandes guerres mondiales qu’a connues le siècle dernier. Je pense aux folies des hitlériens dans les camps de concentration. Mais les alliés de l’époque avaient leur part de violence. La guerre de Corée a eu aussi des dérapages. Les guerres tribales en Afrique, la guerre froide au temps de l’U.R.S.S. communiste, autant d’autres conflits qui se sont laissés aller à des excès et des dégradations. La torture est pratiquée dans de nombreux pays sous prétexte qu’il faut combattre le terrorisme par tous les moyens possibles.
La guerre engendre de la violence, dirait Monsieur de la Palice. Et la violence est toujours le produit de la haine. Quant à celle-ci, on ne l’a jamais vu produire de la noblesse et conduire quelqu’un à l’épanouissement personnel.
À travers les siècles, on a exalté la vie militaire. On l’a ennoblie par des rites et des discours patriotiques. Toute une liturgie entoure la défense d’une patrie. Mais derrière ces grands élans, il y a la guerre. Et la guerre, qu’on la déclare ou qu’on la subisse, est et sera toujours un échec dans les relations humaines, dans les relations internationales. Bien plus, même quand elle est nécessaire, elle demeure un acte immoral. Si parfois on s’y sent obligé pour défendre ses droits et libertés, il reste toutefois qu’elle n’est jamais la meilleure solution à un conflit.
La guerre ne peut jamais être une solution parce que la violence entraîne toujours la violence. Et la violence n’agit que poussée par la haine. Et la haine détruit davantage celui qui hait que celui qui est détesté.
Pour éviter les dérapages de la torture et de la violence, il faut faire la guerre à la guerre elle-même. Il faut promouvoir la noblesse du coeur, l’accueil de l’autre, l’harmonie entre les peuples. Au-delà des compétitions internationales, il faut travailler à la solidarité et au soutien mutuel.
«La vertu c’est la perfection dans l’état d’homme et non l’absence de défauts. Si je veux bâtir une cité je prends la pègre et la racaille et je l’ennoblis par le pouvoir. Je lui offre d’autres ivresses que l’ivresse médiocre de la rapine, de l’usure ou du viol. Les voilà de leurs bras noueux qui bâtissent. Leur orgueil devient tour et temple et rempart. Leur cruauté devient grandeur et rigueur dans la discipline. Et voilà qu’ils servent une ville née d’eux-mêmes et contre laquelle ils se sont échangés dans leur coeur. Et ils mourront, pour la sauver, sur ses remparts. Et tu ne découvriras plus chez eux que vertus les plus éclatantes.» (Antoine de ST-EXUPÉRY, Citadelle, Paris, Gallimard, 1948, p. 87.)
Si on peut transformer la pègre et la racaille, selon Antoine de St-Exupéry, à plus forte raison les responsables des pays qui sont tentés de déclarer la guerre à leurs ennemis. J’entends un soldat ou un général me dire que je suis utopiste. J’avoue rêver facilement, surtout quand il s’agit du côté humanitaire de la vie. Certains diront que cela ne fait pas très sérieux, mais l’humanité ne grandit que lorsque certains prennent leurs rêves au sérieux. L’histoire fourmille de témoignages en ce sens.
Denis Gagnon, o.p.