Ne vous lassez pas de prier
En quittant la synagogue, Jésus, accompagné de Jacques et de Jean, alla chez Simon et André. Or, la belle-mère de Simon était au lit avec de la fièvre. Sans plus attendre, on parle à Jésus de la malade. Jésus s’approcha d’elle, la prit par la main, et il la fit lever. La fièvre la quitta, et elle les servait. Le soir venu, après le coucher du soleil, on lui amenait tous les malades, et ceux qui étaient possédés par des esprits mauvais. La ville entière se pressait à la porte. Il guérit toutes sortes de malades, il chassa beaucoup d’esprits mauvais et il les empêchait de parler, parce qu’ils savaient, eux, qui il était. Le lendemain, bien avant l’aube, Jésus se leva. Il sortit et alla dans un endroit désert, et là il priait. Simon et ses compagnons se mirent à sa recherche. Quand ils l’ont trouvé, ils lui disent : « Tout le monde te cherche. » Mais Jésus leur répond : « Partons ailleurs, dans les villages voisins, afin que là aussi je proclame la Bonne Nouvelle ; car c’est pour cela que je suis sorti. » Il parcourut donc toute la Galilée, proclamant la Bonne Nouvelle dans leurs synagogues, et chassant les esprits mauvais.
Commentaire :
L’évangile de Marc nous présente une personnalité; le chapitre premier nous permet de voir vivre un homme appelé Jésus. Tout l’évangile est centré sur lui, paroles, faits et gestes. Voilà bien l’essence du christianisme : le Christ. Il n’est pas question d’idées, de concepts, mais d’un homme, vivant comme nous, avec nous et au milieu de nous, qu’il nous est loisible de regarder, d’écouter et de contempler. Jésus est venu non point démontrer, mais montrer ce que doit et peut être la vie à sa suite. Il a vécu avec nous et donné sa vie pour que tout dans sa vie nous parle. Il est venu guérir nos corps, sans doute, mais davantage nos cœurs. Jésus ne se dérobe point à la misère physique, comme s’il n’était venu que pour sauver les âmes ; sa compassion s’étend aussi à toutes les misères humaines : « Tout le monde te cherche ». Pour apporter à la maladie la délivrance nécessaire, Jésus prend les devants : « Partons ailleurs, dans les villages voisins »… Et cet « ailleurs » semble déjà défini par le premier récit concernant la belle-mère de Simon.
Mission aux frontières
« Belle-mère », qu’est-ce à dire ? Et pourquoi l’évangéliste Marc a-t-il placé au début de son évangile la guérison d’une belle-mère, celle de Simon Pierre? Que Jésus ait guéri un de ses frères, c’est-à-dire un cousin, une cousine ou qu’il ait guéri la mère ou le père de Simon, nul ne se serait posé de question; mais la guérison de la belle-mère ? Faut-il regarder ce miracle comme un fait historique indiscutable ? Qui ce terme « belle-mère » identifie-il ? La seconde femme du père de Simon Pierre, ou, dans un contexte matrimonial, la mère de l’épouse de Simon ? Si l’apôtre était marié, sa femme serait-elle décédée; vivante, ne se serait-elle pas empressée d’accueillir ses hôtes. Autre point : le fait que Pierre habite avec son frère n’a rien d’insolite; des frères célibataires demeurant sous un même toit, que le frère fut marié ou veuf, était chose normale dans la société juive du temps. Il demeure que cette mise en situation du récit évangélique laisse perplexe et plein de questionnements, quelque secondaire qu’ils paraissent. Dans la pensée de Marc, Jésus tient-il à faire la preuve que les relations humaines, allant du pire au meilleur, ne peuvent interférer dans sa mission ? Pas de frontières à l’amour de Jésus, surtout lorsque le pardon est au programme.
Le pardon
« La fièvre la quitta », expression forte, plus encore que nous ne saurions croire. La fièvre constituait chez les Israélites comme un châtiment divin pour qui n’observait pas les commandements : « Si vous ne mettez pas en pratique tous ces commandements, j’enverrai sur vous la terreur, la consomption et la fièvre qui font languir les yeux et défaillir l’âme » (Lv. 26,14-16) La fièvre comptait parmi les fléaux dont Dieu possédait la maîtrise au même titre que la mort : « Devant Yahvé marche la mortalité, et la fièvre brûlante est sur ses pas. » (Ha.3, 5) Mais l’important, c’est le signe que prépare cette guérison et la suite inédite du texte : la rémission des péchés. La croyance intime de ces populations juives était vraiment d’associer maladie et péché. (Is.26 + 29) L’une et l’autre allaient de pair ( Pr.2,16-19 ; 5,1-5 ; 7, 24-27 ; Mc. 2,3-5, 15-17) Un lien étroit subsistait entre la santé et la sainteté ( Ex. 20,12 ; Pr.3,7-8). Si l’origine de la maladie était attribuée à Yahvé (Jb.19,20-21), c’est de lui aussi que viendra le remède (Jb. 5, 18 ; Is. 19,22). En guérissant nombre de malades, Jésus annonce l’ampleur du pardon qu’il vient accorder aux humains.
Sans mesure
De grand matin, on s’était mis à la recherche de Jésus qui avait déjà quitté pour d’autres bourgs. « C’est pour cela que je suis sorti ». Sa réaction suivait la prière, prélude à sa prédication, l’annonce la Bonne Nouvelle aux pauvres. En Jésus, modèle de notre existence apostolique, la prière prépare la prédication, voire même la ressource. Il ne craint pas de déserter les foules comme c’est ici le cas, de s’éclipser pour aller prier. C’est le ressort secret de son inlassable démarche à la poursuite des brebis perdues. La prière constitue l’assurance de Jésus contre lui-même pour s’assurer la continuité et lutter contre l’épuisement du temps. La prière lui permet de garder le cap, sans quoi il y aurait risque certain que l’entreprise apostolique, la plus louable, tourne au bien être, à la gloire de celui qui annonce la Bonne Nouvelle. Évoquons ici les tentations de Jésus au désert ( Mat.4 ). Il est tellement facile de faire biaiser l’intention ou de la corrompre même en ce domaine apostolique. Des organisations charitables deviennent souvent plus organisées que charitables. Ne nous arrive-t-il pas souvent de détourner la générosité à des fins partisanes. Loin de la prière, la parole risque de devenir bavardage, discours. Le grand mal de notre monde : une communication sans véritable communication. La Bonne Nouvelle nécessite incontestablement une immersion totale dans la prière, un rapprochement de Dieu. « Au commencement la Parole était avec Dieu » (Jn.1,1)
La prière, prélude de toute mission aux frontières de quelque genre que ce soit. « Ne vous lassez pas de prier ».